Anne Quéméré remettra son kayak à flot, avec l’ambition d’enfin réussir sa traversée du passage du Nord-Ouest de l’Arctique canadien. Contrainte il y a un an d’écourter son expédition, la navigatrice bretonne quittera le hameau de Tuktoyaktuk dans les prochains jours, dès que les glaces seront ouvertes.
L’itinéraire envisagé doit la conduire dans le golfe d’Amundsen, puis à Cambridge Bay, où elle fera étape dans environ six semaines. À mi-route de l’expédition, la kayakiste ralliera ensuite Gjoa Haven, et si le temps le permet, remontera plein nord, empruntera le détroit de Bellot, puis le détroit de Lancaster, pour enfin rallier la communauté Inuit de Pond Inlet.
Anne Quéméré croise les doigts pour que les conditions climatiques soient plus clémentes que l’année passée.
« Les glaces l’année dernière ne se sont pas ouvertes, et aucun bateau n’est passé, à part ceux qui avaient été aidés par un brise-glace », rappelle-t-elle. « J’avais dû également faire face à des vents assez importants, donc que l’on soit préparée ou non, quand on a des vents de 25 à 30 nœuds en face, on ne peut pas faire grand-chose! »
Cette expérience écourtée n’a pourtant pas entamé la volonté de la kayakiste. Navigatrice chevronnée, Anne Quéméré en a vu d’autres puisqu’elle compte notamment à son palmarès une expédition au Groenland et plusieurs traversées de l’Atlantique en solitaire. Puisant sa motivation dans l’incertitude de ce que la nature lui réservera elle reste cependant bien consciente de l’exposition du Nord aux aléas climatiques.
« Dans le Nord, il peut y avoir un schéma météo prévu peut-être 48 h à l’avance, et puis il y a tous les phénomènes de météo locale. Même si on regarde le ciel, tout peut changer très vite. Rien à voir avec ce à quoi je suis habituée en Bretagne où toutes les dépressions importantes arrivent d’Amérique, traversent l’Atlantique et sont prévues six à sept jours à l’avance », explique-t-elle. « On n’attend pas non plus la fenêtre météo idéale pour partir, parce que nous avons un dicton en Bretagne qui dit qu’à trop regarder la météo, on reste au bistrot — ce qui n’est pas totalement faux —, mais on tente bien sûr de partir dans les conditions météo les plus favorables possible. »
Un voyage à deux
Anne Quéméré ne partira pas seule cette fois-ci, puisqu’elle sera accompagnée de l’écoexplorateur suisse Raphaël Domjan. À l’initiative du projet Planet Solar — un tour du monde en bateau solaire réalisé en 2011 —, celui-ci naviguera dans l’Arctique à bord d’un kayak solaire.
« Je traversais le Pacifique en planche aérotractée et nous devions nous rencontrer sur l’océan à cette époque-là », se souvient la navigatrice. « Mais mon téléphone satellite était tombé en panne et je n’avais plus eu de contact avec personne pendant 60 jours. Du coup, notre rendez-vous sur le Pacifique n’avait jamais eu lieu. »
Souhaitant étrenner son kayak solaire en Patagonie, l’explorateur suisse a cette année demandé à Anne Quéméré si cette destination pourrait lui plaire. Finalement, l’Arctique aura eu raison de l’Amérique du Sud.
« Raphaël m’a demandé si éventuellement un équipier serait le bienvenu, mais pour moi, c’est compliqué d’imaginer de naviguer à deux », explique Anne Quéméré. « On devient responsable de quelqu’un d’autre, il faut se caler sur l’autre, et s’il arrive quelque chose à l’autre, on se sentira toujours coupable.La difficulté pour moi va donc être de savoir comment gérer les compromis. Parce que je n’y suis pas habituée, est-ce que je vais déjà réussir à le faire? Et est-ce que je serais supportable pour quelqu’un pendant trois mois? »
La Bretagne et les Inuits
L’année passée, Anne Quéméré était restée bloquée près de cinq semaines à Tuktoyaktuk. De retour dans la localité, elle se réjouit de revoir d’anciennes connaissances, malgré un peu d’appréhension.
« Peut-être que l’amitié comme moi je la perçois n’est pas perçue chez eux de la même façon », dit-elle. « En plus, ces gens-là ont l’habitude de voir des gens passer, des marins en escale, des gens qui ont peut-être promis qu’ils reviendraient et dont ils n’ont plus jamais entendu parler. »
Anne Quéméré est notamment partie pêcher et préparer le poisson avec des Inuits. Une expérience vécue comme un échange et un partage de compétences.
« En Bretagne, j’ai l’habitude de voir ça, mais ce ne sont pas les mêmes techniques et les mêmes outils, donc je trouvais ça intéressant », explique-t-elle. « Il y avait un vrai échange, je pouvais comparer avec des choses qui m’étaient familières, et puis partager aussi des choses ou une façon de pratiquer qu’ils ne connaissaient pas xforcément. »
Bretonne d’origine, la navigatrice a également ressenti des similitudes avec les Inuits, privée comme les siens d’une partie de sa culture.
« Il y a eu une honte du parler breton dans les générations nées dans les années 30-40, une honte que l’on retrouve chez les Inuits, un peu plus tard pour eux, mais de la même teneur », explique-t-elle. « Je n’ai jamais eu l’impression que le fait de ne pas parler breton avait peut-être nui à ma culture bretonne, mais je me rends compte que le fait d’avoir interdit aux Inuits de parler leur langue, oui, ça a tué en partie leur culture. C’est difficile de prendre du recul sur sa propre culture, mais ça m’a fait réfléchir sur qui on était, sur notre identité, et sur l’importance de continuer à faire perdurer certaines choses. »
L’expédition d’Anne Quéméré est à suivre sur sa page Facebook