Dimanche 18 août, une chape de brouillard matinal plane sur le parc Tombstone. Depuis le campement qu’ils ont installé sur un promontoire dominant la vallée, à deux kilomètres de la route Dempster, Louis-Philippe et Jean-Sébastien doivent attendre que la visibilité s’améliore pour se lancer dans leur première chasse.
Vers 8 h, la brume se dissipe enfin, laissant apercevoir à Louis-Philippe deux caribous éloignés d’environ quatre kilomètres. Les animaux tracent leur chemin à flanc de montagne, puis disparaissent rapidement derrière les reliefs. Les deux amis préparent leurs sacs, conscients de la grosse marche qui les attend.
Débusquer le mâle
« Une fois sur place, nous ne les voyions plus du tout. Nous avons continué dans la même direction, puis nous avons monté une petite butte d’où nous avons vu trois caribous, dont un jeune », raconte Louis-Philippe. « Nous avons décidé de contourner la crête pour avoir le vent de face et trouver une bonne position. Nous nous sommes ensuite préparés, avant de nous rendre compte qu’il s’agissait uniquement de femelles… »
La tension se relâche, les chasseurs se relèvent et les caribous s’enfuient. « On s’est assis et on a discuté. On était un peu découragés d’avoir fait tout ce chemin, six kilomètres peut-être », confie Louis-Philippe.
La déception ne sera que passagère, puisque le duo ne tarde pas à repérer un nouveau caribou, à seulement un kilomètre de distance. Le déplacement solitaire de l’animal laisse à penser qu’il s’agit bien d’un mâle cette fois.
Les chasseurs contournent la bête et réalisent que celle-ci s’est assise. Elle n’a pas bougé d’un poil.
« Nous avons posé nos sacs et sorti nos armes. Quand nous sommes montés sur la butte, le caribou s’est levé en nous voyant, puis il a commencé à marcher vers nous en présentant des signes de dominance », raconte Louis-Philippe. « Nous étions à une distance confortable, environ 70 mètres. J’attendais que Jean-Sébastien me confirme le sexe de l’animal et qu’il me donne son OK. Il était alors de face : j’ai attendu qu’il se tourne et mon tir lui a finalement sectionné la colonne vertébrale. »
Mal en point, le cervidé chancelle sur une vingtaine de pas. Un second tir l’atteint au cou et le fait finalement tomber. Il est 14 h 30. Le gros du travail peut commencer.
Cent vingts livres sur le dos
« Nous avons ramassé nos affaires et nous sommes revenus voir l’animal vingt minutes après, pour commencer la job », explique Jean-Sébastien. « Le deal qu’on avait fait, c’est que celui qui voyait l’animal le tirait, et que l’autre débitait la carcasse. »
Les chasseurs suivent les conseils qu’on leur a donnés et commencent par enlever les épaules et les cuisses. Si les intestins venaient à être malencontreusement coupés, quatre pièces de viande seraient en effet déjà préservées d’une contamination.
« On a enlevé une épaule et une cuisse d’un bord, mais nous avons incisé trop loin dans l’aine et du mauvais côté de l’os, et les intestins ont commencé à sortir », se souvient Jean-Sébastien. « Ils n’étaient pas percés, mais nous nous sommes tout de même mis à paniquer un peu, car c’était le gros stress de penser que nous pouvions perdre notre viande! »
Deux heures et demie plus tard, la carcasse est nettoyée et un total de cent vingt livres de viande alourdissent les deux sacs à dos. Quatre heures de trajet seront nécessaires pour revenir au camp, et encore quelques heures supplémentaires pour rallier la route.
« Nos sacs devaient peser plus de 100 livres, c’était vraiment lourd. Nous faisions 20 pas et nous devions nous arrêter! », avoue Jean-Sébastien.
Après avoir fait le plein d’essence à Dawson, les deux amis prennent la route de Whitehorse à 2 h du matin.
« Nous sommes rentrés lundi vers 9 h. Nous avons nettoyé la viande, nous l’avons pendue dans le garage et nous sommes allés nous coucher! », raconte Louis-Philippe. « Nous étions debout depuis 28 heures. »
L’instinct ne trompe pas
Jean-Sébastien et Louis-Philippe garderont un bon souvenir de leur première aventure de chasse. Le plaisir de côtoyer la faune et le sentiment de renouer avec des gestes oubliés semblent avoir dominé leur expérience.
« C’est une expérience marquante et plein de choses restent en tête », explique Jean-Sébastien. « Tu renoues avec quelque chose que nous avons beaucoup perdu avec la modernité occidentale. En somme, tout ce qui implique de manger un animal mort. Mais quand tu te retrouves avec l’animal qui est chaud et qui vient de mourir, il y a comme une mémoire des gestes qui revient, quelque chose d’instinctif, même si tu ne l’as jamais fait avant. »
« J’ai encore plus de respect pour les chasseurs de longue date maintenant », indique pour sa part Louis-Philippe. « Il s’agit vraiment de comprendre le comportement animal, de comprendre leurs mouvements dans une situation donnée, et cela vient avec le temps. »
Grands amateurs de viande, les deux amis voient dans la chasse un moyen équilibré de manger de la viande de façon éthique et d’éviter les produits de la grande distribution, souvent bourrés d’antibiotiques et traités aux hormones. Non issus de familles de chasseurs, ils se sont informés eux-mêmes des techniques de chasse en regardant des vidéos sur Internet et par l’entremise des formations gratuites offertes par le gouvernement du Yukon.