Avec une augmentation fulgurante des cas de surdose dus aux opioïdes cette année au Yukon, est-ce qu’un état d’urgence sanitaire doit être décrété?
Depuis janvier, 21 Yukonnais et Yukonnaises ont perdu la vie à la suite d’une surdose causée par les opioïdes, ce qui place le territoire au sommet d’un bien triste palmarès. Le Yukon surpasse désormais la Colombie-Britannique et obtient le taux de décès dus aux opioïdes par personne le plus élevé au pays, soit de 48,4 décès pour 100 000 personnes. « Nous sommes sur une trajectoire terrifiante », a affirmé la coroner en chef du Yukon, Heather Jones, dans un communiqué le 29 novembre dernier.
Cinq de ces surdoses ont eu lieu à Mayo, communauté d’environ 450 personnes située à 400 kilomètres au nord de Whitehorse. Le Nouveau parti démocratique du Yukon a récemment déposé une pétition au nom de Mayo pour demander qu’un état d’urgence soit déclaré dans la communauté afin de « fournir une réponse immédiate et déployer des ressources […] dans la communauté pour lutter contre la toxicomanie ».
La Colombie-Britannique en est à sa cinquième année d’état d’urgence, celui-ci ayant été décrété en 2016. Or, le taux de mortalité a presque doublé en cinq ans, selon les chiffres de Radio-Canada.
Entre message fort et impacts modestes
L’option de déclarer un état d’urgence sanitaire au Yukon demeure sur la table, mais seulement « si cela permet de fournir davantage d’outils pour protéger les Yukonnais et Yukonnaises », a déclaré la ministre de la Santé et des Affaires sociales Tracy-Anne McPhee à l’Assemblée législative, le 30 novembre dernier.
Cependant, reste à voir si cette mesure s’avérera nécessaire, selon le médecin hygiéniste en chef par intérim du Yukon André Corriveau : « On déclare un état d’urgence pour se donner des pouvoirs supplémentaires d’intervention, mais dans la mesure où les choses qu’on pense qui doivent être faites n’ont pas besoin d’état d’urgence, ce n’est pas nécessaire d’aller jusque-là. » Ainsi, certaines actions supplémentaires pour pallier la crise pourraient être mises en place sans une déclaration semblable à celle de la COVID-19, explique-t-il.
Dans le cas de la pandémie, celle-ci servait justement au gouvernement à pouvoir instaurer des mesures exceptionnelles de santé publique, comme l’obligation pour certaines personnes de se faire vacciner ou instaurer le passeport vaccinal, cite en exemple le médecin.
Toutefois, un constat demeure unanime : le territoire traverse une crise des opioïdes sans précédent, et des actions supplémentaires doivent être prises. Pour Bronte Renwick-Shields, directrice du centre Blood Ties Four Direction, une déclaration d’urgence pour une communauté comme celle de Mayo enverrait un message fort. « Nous traversons deux crises sanitaires en ce moment, et les surdoses sont évitables », assure-t-elle.
Retour à l’étape de la consultation
Pour l’instant, Dr André Corriveau affirme que l’heure est toujours à la consultation afin d’analyser quelles mesures pourraient être ajoutées.
En avril dernier, Brendan Hanley, alors médecin hygiéniste en chef du Yukon, avait fait trois recommandations précises : la mise en place d’un centre d’injection supervisée, de l’approvisionnement plus sécuritaire (offre de médicaments prescrits) et la décriminalisation de la possession d’une petite quantité de drogues.
Le centre d’injection a ouvert ses portes il y a deux mois au centre-ville de Whitehorse, et Bronte Renwick-Shields affirme que le nombre quotidien d’utilisateurs et d’utilisatrices continuera d’augmenter au fur et à mesure que la confiance s’installera.
Cependant, elle soutient que l’offre d’approvisionnement plus sécuritaire tarde à atteindre les communautés plus éloignées. Aucune avancée n’a été faite quant à la décriminalisation d’une petite quantité de drogues, mesure qui nécessiterait l’aval d’Ottawa pour introduire une exception à la Loi fédérale réglementant certaines drogues et autres substances.
Le plan d’action du territoire sur la crise des opioïdes déployé en 2018 prenait fin en décembre 2020. Au moment d’écrire ces lignes, aucun autre plan d’action n’a été publié. Dr André Corriveau affirme qu’un groupe de travail interne a été constitué pour « identifier les lacunes qui demeurent dans la réponse à cette crise ».
Améliorer les services dans les communautés
« Ce n’est plus le temps des excuses et des promesses vides », a lancé la députée néo-démocrate de Vuntut Gwtichin Annie Blake. Selon elle, l’offre de services en dehors de Whitehorse doit être bonifiée, et ce, rapidement.
Le gestionnaire des Services pour le mieux-être mental et la lutte contre l’alcoolisme et la toxicomanie dans les communautés, Todd Pryor, réitère qu’un intervenant en mieux-être mental et en traitement des dépendances à Mayo est disponible pour répondre aux besoins de la communauté et qu’il est bien connu par celle-ci.
« La pétition est une bonne façon d’exprimer comment la population se sent », poursuit-il, en mentionnant que d’autres enjeux comme la crise du logement peuvent aussi contribuer à la hausse des cas de surdoses.
Pour André Corriveau, il faut réfléchir à un large éventail de mesures, comme celles en prévention. « Ce n’est pas seulement d’offrir des services pour pallier et minimiser les risques de décès, mais aussi pour diminuer le nombre de personnes qui entrent dans cet engrenage de dépendance », précise-t-il.
L’organisation Blood Ties Four Direction a lancé un sondage dans les communautés afin d’identifier « le type de stratégies de réduction des méfaits et de soutien que celles-ci souhaitent obtenir et comment Blood Ties peut les soutenir », affirme Bronte Renwick-Shields.
Depuis 2016, la crise des opioïdes a coûté la vie à 54 Yukonnais et Yukonnaises. « À mesure que ces chiffres continuent d’augmenter, le poids du chagrin et des pertes inimaginables ressenti dans tout notre territoire augmente également », souligne la coroner en chef du territoire par voie de communiqué. « Nous sommes solidaires envers la communauté de Mayo et sommes disponibles pour les aider », ajoute Bronte Renwick-Shields.
IJL – Réseau.Presse
L’Aurore boréale