Une fois un diagnostic de syndrome de l’alcoolisation fœtale posé, un large éventail d’outils, de services et de traitements sont proposés. Pour accéder aux services les plus adaptés, certains clients sont contraints de quitter le territoire et d’entreprendre un long itinéraire vers un endroit approprié. Or, ces départs ne se font pas sans heurt.
Les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) font référence à une multitude de séquelles permanentes chez un individu survenant lorsque la mère a consommé de l’alcool pendant sa grossesse. Les personnes affectées le sont toute leur vie et les déficits neurologiques varient d’une personne à l’autre : les troubles d’apprentissage, les difficultés de mémoire et les incapacités à réfléchir en profondeur, à gérer un budget et à régler des conflits figurent parmi les troubles les plus récurrents, selon le Centre de toxicomanie et de santé mentale du Canada. Les cas au territoire sont légion : 17,5 % des contrevenants dans le système correctionnel de Whitehorse auraient des troubles reliés aux TSAF, selon une récente étude en partenariat entre le ministère de la Justice et l’Université de la Colombie-Britannique en 2016.
Cette prépondérance de cas met en lumière la nécessité d’une pluralité de services : « Nous devons nous assurer que les personnes aient accès à des services plutôt que d’être repoussés ou écartés. Les gens atteints de TSAF ont des besoins très variés. Ils ont besoin d’un logement, d’un soutien financier, d’une meilleure inclusion sociale et d’éducation », énumère entre autres Wenda Bradley, directrice de la Fetal Alcool Syndrome Society Yukon (FASSY), un organisme sans but lucratif venant en aide aux adultes yukonnais atteints de TSAF.
Au territoire, lorsqu’une personne est déclarée non criminellement responsable d’un acte criminel en raison de troubles mentaux, elle est placée sous la supervision de la Commission d’examen du Yukon, un tribunal administratif chargé de faire le suivi. Conjointement avec d’autres acteurs, notamment le ministère de la Santé et des Affaires sociales, on tente ensuite de trouver le service le plus adapté pour venir en aide à l’individu souffrant de TSAF.
Pèlerinage forcé
Les services adaptés sont parfois situés en dehors du territoire, réalité que plusieurs familles ont dénoncée au fil des années. Certains clients sont aussi contraints de changer d’établissements plusieurs fois. C’est le cas de Maxim Baril-Blouin, qui a notamment été envoyé en Nouvelle-Écosse, puis à deux établissements de l’Ontario, avant d’arriver en Alberta en janvier 2018. Il devait être transféré au Yukon en juillet 2018, mais est décédé d’une surdose de fentanyl dans un centre de détention albertain quelques jours avant.
Vicky a également fait plusieurs arrêts dans différentes provinces avant d’être prise en charge par I Have a Chance, en Alberta. « On nous dit souvent qu’elle va revenir bientôt au territoire, mais on dirait que ce ne sont que de faux espoirs à chaque fois », constate Gloria, la mère de Vicky. Même son de cloche pour Sylvie Salomon, la mère de Maxim : « Ce que je veux, […] c’est que vous preniez les clients et que vous les gardiez au Yukon », envoie-t-elle comme message aux services de santé responsables.
Selon la directrice de FASSY, la meilleure option reste toujours de ne pas déplacer les gens souffrant de TSAF, qui ont souvent de la difficulté à s’adapter à un nouvel environnement : « Les personnes auront moins de contact avec les membres de leur famille s’ils sont envoyés ailleurs. […] Cela les isole, ce n’est pas inclusif… il y a plusieurs raisons pourquoi cela ne devrait pas arriver », souligne-t-elle.
« Des programmes ciblés de qualité au Yukon », en priorité
La nécessité d’avoir accès à des programmes ciblés de qualité au Yukon semble telle qu’il s’agit désormais du premier objectif de l’organisme FASSY, cité dans le tout nouveau rapport stratégique 2020 -2023. La directrice générale ne ménage pas ses mots : « À ce stade-ci, c’est un échec », dit-elle, en abordant le sujet des personnes judiciarisées souffrant de TSAF qui sont contraintes de quitter le territoire pour des services plus adaptés.
Le problème de l’accès à des services spécialisés localement n’est pas unique au Yukon. Au Nunavut, 14 personnes concernées sont sous la supervision de la Commission d’examen et 12 subissent des traitements dans des provinces. Au Territoire du Nord-Ouest, la totalité des personnes sous la supervision du tribunal administratif est présentement située en dehors du territoire.
Dans un article de Radio-Canada publié en décembre dernier, on affirme que quatre personnes sous la supervision de la Commission d’examen au Yukon sont suivies dans d’autres provinces, et qu’un travail continuel est fait pour améliorer les services au territoire. Sylvie Salomon voit ce travail comme une avancée. Elle souhaiterait également que les familles des personnes souffrant de TFAS soient plus souvent consultées.
La consultation des familles s’inscrit d’ailleurs comme un des principes guidant le plus récent plan d’action de 2019 du gouvernement du Yukon. Le plan d’action, publié par le gouvernement du Yukon et le comité consultatif interservices sur les troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale, comprend plusieurs objectifs, dont « la collaboration avec la Société d’habitation du Yukon et d’autres partenaires en matière de logement pour s’assurer qu’un ensemble de logements avec services de soutien soit offert aux personnes atteintes de TSAF, y compris celles qui ont des démêlés avec le système judiciaire ». Pour Gloria, la mère de Vicky, cela ne fait aucun doute : « Sa place est ici, au Yukon, avec sa famille et ses ami.es », affirme-t-elle.