Une passion pour l’histoire et sa transmission, ainsi qu’un profond amour de la langue française, ont amené Yann Herry à s’aventurer il y a près de 35 ans sur la route de l’éducation au Yukon. Aujourd’hui, à la veille de son départ à la retraite, le Franco-Yukonnais jette un coup d’œil sur le chemin parcouru.
Pour ce passionné de géographie et d’histoire, rien ne laissait croire à Yann Herry qu’il allait se destiner à l’enseignement. Pourtant, c’est dans ce domaine qu’il trouvera les éléments essentiels qui lui permettront d’amalgamer toutes les passions qui l’animent.
Originaire de Casablanca au Maroc, Yann Herry avait 11 ans lorsque ses parents décidèrent de s’installer au Québec où il a entrepris des études universitaires en géographie. Sa passion pour le territoire l’a mené très tôt à parcourir le Grand Nord canadien. C’est d’ailleurs en 1975, alors jeune adulte, qu’il a décidé de s’aventurer pour la première fois en territoire nordique, d’abord au Yukon, puis au Nunavut. « Je voulais découvrir le monde, mais je me suis dit à l’époque que je devrais peut-être commencer avec le Canada », se rappelle-t-il.
La piqûre pour l’enseignement
Marqué par son passage yukonnais en 1975, Yann Herry décide en 1981, après avoir terminé ses études universitaires, d’y retourner pour y habiter plus longtemps.
C’est à cette époque qu’il fait une première incursion dans le monde de l’éducation, d’abord à titre d’enseignant offrant des cours de français aux adultes pour le gouvernement du Yukon, puis comme moniteur de français. À la suite de ces expériences, Yann se laisse rapidement convaincre de retourner sur les bancs d’école afin de compléter un baccalauréat en enseignement cette fois-ci. Une fois son diplôme en mains, il retournera au Yukon avec une idée précise en tête toutefois, celle d’enseigner. C’est à ce moment qu’il rencontre sa belle Hélène qui était alors monitrice de français avant de devenir à son tour enseignante. Ensemble, ils fonderont leur famille enracinée dans le sol à la fois yukonnais et francophone.
Au fil des ans, Yann Herry aura enseigné principalement en immersion française au niveau secondaire. « J’ai aimé enseigner l’histoire et les sciences humaines. J’ai toujours aimé accumuler les connaissances et les transmettre par la suite à mes étudiants », confie celui qui a également coordonné une quantité importante de voyages culturels entre le Yukon et le Québec de même qu’avec l’Europe. Il a ainsi mis la table au jumelage des villes de Whitehorse et de Lancieux en Bretagne, où a vécu le barde du Yukon Robert Service. Ces voyages pédagogiques ont permis à plusieurs élèves du Yukon de s’ouvrir au monde tout en se familiarisant avec l’histoire canadienne intimement liée à plusieurs moments historiques de l’Europe.
Il y a une dizaine d’années, Yann Herry a décidé de quitter le travail en classe pour se consacrer au poste de coordonnateur des programmes de français du ministère de l’Éducation du Yukon.
« J’ai bien aimé le travail de collaboration avec les enseignants et les écoles. J’ai pu explorer de nouveaux projets qui ont amélioré les programmes en français tout en facilitant le développement du sens d’appartenance à une communauté », confie celui qui quittera officiellement le domaine de l’éducation le 30 septembre prochain.
Pionnier de la franco-yukonnie
Lors de son arrivée au Yukon au début des années 1980, Yann Herry fait la rencontre d’autres francophones d’origines diverses qui, tout comme lui, ont décidé de quitter leur lieu d’origine pour migrer au nord du 60e parallèle. « Les mines fermaient toutes, c’était la crise en 1982. Donc, plusieurs francophones qui travaillaient un peu partout au territoire se retrouvaient tout d’un coup sans emploi et réunis à Whitehorse. C’est comme ça qu’on se rencontrait », se souvient-il.
Ces réunions deviennent rapidement le théâtre de grandes discussions passionnées où on rêve d’une francophonie yukonnaise. Elles alimentent donc le rêve de créer les assises structurales permettant à une communauté francophone de s’épanouir à long terme au Yukon. De fil en aiguille, de rencontre en rencontre, ces rêves commenceront à prendre forme. Hommes, femmes et enfants se mettront à la tâche de créer différentes structures facilitant la transmission de la langue française pour les francophones qui décident de s’y installer de façon permanente.
C’est ainsi qu’on retrouve Yann Herry aux côtés d’autres Franco-Yukonnais qui s’affairaient à la création du journal l’Aurore boréale ou à celle de la Garderie du petit cheval blanc, ainsi qu’à l’École francophone Émilie-Tremblay. Il sera aussi de la création de l’Association franco-yukonnaise dont il sera le premier vice-président.
Une passion pour l’histoire
Yann Herry planifie de se consacrer désormais à sa passion pour l’histoire. On lui doit d’ailleurs la création de la galerie de portraits historiques de Franco-Yukonnais du Centre de la francophonie. La présence de francophones au fil des ans au Yukon continue de la fasciner.
« J’ai déjà commencé à éplucher les pages du journal le Whitehorse Star à partir des publications de 1901 afin de faire une liste de tous les noms des francophones qui y apparaissent. Je glane de petits morceaux à droite et à gauche que j’aimerais rendre disponibles dans une banque électronique », souhaite l’auteur de la publication Francophonie, une richesse nordique. « Beaucoup de gens restent au territoire, mais plusieurs le quittent en apportant dans leurs bagages leurs documents. Ça devient difficile alors d’avoir accès à toute cette information dispersée sur la planète », regrette-t-il. « Mais je veux poursuivre mes recherches sur la présence des francophones au Yukon qui a eu lieu depuis la traite des fourrures, car ces découvertes favorisent le développement d’un sentiment d’appartenance des francophones au Yukon », explique-t-il. Il entend aussi s’attarder aux rapprochements historiques qui ont eu cours entre les francophones et les anglophones du Yukon, car, confie-t-il, « on a une histoire commune qu’il est important de raconter ».
Yann Herry : un parcours en quatre actes
Yann Herry fait partie de ces gens qui ont marqué la jeune histoire de la communauté franco-yukonnaise. Bien que la liste de ses réalisations soit trop longue à énumérer, l’Aurore boréale a profité de son départ à la retraite pour faire un bref retour sur sa carrière. Voici donc un bouquet de témoignages axés sur ses années en enseignement, sur sa contribution au sein de l’Association franco-yukonnaise ainsi qu’au journal l’Aurore boréale.
Damien Burns (ancien élève d’immersion française)
« M. Herry a été mon enseignant préféré de la 7e année à la 9e année. J’étudiais à l’époque en immersion française à l’École Jeckell Junior High (qui est aujourd’hui l’École Vanier). Il nous avait amenés faire un voyage dans la ville de Québec et ça avait été une expérience très précieuse pour moi. Il était tellement passionné pour la culture française, c’était vraiment mémorable. Puis, il y a 10 ans, lorsque ma fille est allée étudier à l’École Vanier, elle a eu à son tour M. Herry comme enseignant. Elle a eu l’opportunité de participer elle aussi à un voyage culturel avec M. Herry, mais cette fois-ci à Lancieux, en France. Je me souviens qu’à l’une des premières rencontres de préparation M. Herry m’a regardé et a dit : “Mais tu viens avec nous toi aussi, n’est-ce pas?”
Alors, je n’ai pas trop hésité et je suis parti avec eux. M. Herry était tellement connu dans tous les endroits où on s’est arrêté en Europe, et je me suis rendu compte qu’il était très respecté. C’était impressionnant à voir. Il a vraiment été un enseignant spécial pour moi et pour les autres étudiants aussi. »
Danielle Bonneau (collègue de travail au ministère de l’Éducation)
« Yann est un visionnaire qui a beaucoup amélioré les services des programmes en français dans les écoles des communautés. Je pense entre autres au programme de moniteurs de français. C’est d’ailleurs Yann qui a insisté pour qu’une personne au poste de moniteur de français soit exclusivement affectée aux communautés yukonnaises où le français n’y est pas enseigné dans les écoles. Grâce à cette vision, aujourd’hui, huit écoles du territoire reçoivent désormais la visite d’un ou d’une monitrice. C’est également lui qui a créé mon poste, celui d’agente des partenariats culturels. Il voulait par ce poste que la langue française soit aussi apprise à travers la culture. Ça a donné la création entre autres des événements Secondaire en spectacle et Chante-la ta chanson. Yann a vraiment un grand amour pour la langue française. Il a été aussi un mentor important pour plusieurs jeunes en les encourageant à poursuivre leurs études en éducation afin de pouvoir à leur tour enseigner le français. Ça a été un réel plaisir de pouvoir travailler avec lui. »
Jeanne Beaudoin (Association franco-yukonnaise)
« C’est Yann Herry qui m’a convaincue en 1984 de m’investir dans la communauté franco-yukonnaise en me présentant au poste de vice-présidence de l’Association franco-yukonnaise (AFY). Il quittait ce poste à cette époque pour aller étudier en enseignement à Terre-Neuve. Je connaissais déjà Yann parce que nous avions travaillé ensemble en 1983 au programme de moniteur de langue française dans les écoles. Je me souviens, à l’époque, que le quartier général où se réunissaient souvent les jeunes francophones de Whitehorse était au café No Pop Shop, (aujourd’hui le restaurant Antoinette). J’avais 25 ans à l’époque et j’étais plus intéressée à perfectionner mon anglais qu’autre chose, mais Yann avait réussi à me convaincre. Plus tard, j’ai occupé différents postes comme employée de l’AFY, puis celui de la direction de l’organisme. C’était en 1999 et Yann était alors président. Je me souviens à quel point il était visionnaire et a toujours eu une perspective historique importante. Je crois d’ailleurs qu’il est la personne qui en connaît probablement le plus sur l’histoire des francophones au Yukon. C’est cet intérêt pour l’histoire qui l’avait amené à concrétiser en l’an 2000 son projet Aux sources de la francophonie qui marquait le passage au nouveau millénaire et qui a permis le jumelage officiel entre la ville de Whitehorse et de Lancieux. Ça avait été un très beau succès. »
Sylvie Léonard et Cécile Girard (Aurore boréale)
« Je suis arrivée de Yellowknife avec Jean-François à l’automne 1980 où j’avais travaillé comme secrétaire à la Société francoténoise qui publiait déjà à l’époque un journal francophone. Une fois arrivée au Yukon, je me suis rendu compte qu’il n’existait pas de journal francophone. C’est cet hiver-là qu’on a rencontré Yann. Il faisait partie d’un groupe de francophones qui se voyaient et discutaient régulièrement. J’ai alors parlé de l’importance d’avoir un journal francophone au Yukon, et par la suite, on a travaillé au projet ensemble. On avait la même vision du journal, c’est-à-dire l’importance de créer quelque chose qui allait unir les francophones, les mettre en contact et briser leur isolement. On voulait créer quelque chose qui allait durer dans le temps. On s’installait chez moi à Valleyview où j’habitais à l’époque, et Yann et moi on écrivait des articles pour le journal et on collectait des textes des gens qui nous écrivaient des poèmes à publier ou nous envoyaient des photos. On écrivait tout à la machine à écrire et on faisait des photocopies du résultat final sur des feuilles qu’on pliait en deux pour faire des livrets. C’était vraiment les débuts de l’Aurore boréale. On se débrouillait! » témoigne Sylvie Léonard.
Cécile Girard, qui a été directrice du journal pendant 30 ans, se souvient des contributions régulières de Yann Herry. « Il venait souvent nous voir au journal afin de s’assurer que nous avions une photo d’un événement qui se déroulait dans la communauté, ou pour nous donner des suggestions d’articles. Yann apprécie beaucoup la beauté de la culture et de la langue française. Son engagement a toujours été remarquable. C’est quelqu’un d’important dans la communauté », confie-t-elle.