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le Mercredi 9 septembre 2020 22:00 Scène locale

Whitehorse et Lancieux, une amitié à l’épreuve du temps

La poésie arrive parfois à créer des ponts d’un bout à l’autre de la planète. C’est le cas entre la ville de Whitehorse du Grand Nord canadien et de Lancieux en France. Entre ces deux pôles où a vécu le poète Robert Service se sont tissés ces vingt dernières années des liens d’amitié et de cœur.

La délégation de l’an 2000 : des élèves du Yukon devant la mairie de Saint-Malo ainsi que Larry Bagnell, Marie Conan, Yann Herry, Glenn Everett de Dawson, et Marie Dagorne, amie d’enfance d’Iris Davies, fille de Robert Service. Photo fournie

 

L’union de la ville de Whitehorse et de Lancieux est née dans la foulée des célébrations de l’arrivée du 21e siècle. À l’époque, les organismes canadiens étaient invités à soumettre des projets rassembleurs afin de marquer ce moment historique.

« L’Association franco-yukonnaise qui représente la francophonie du Yukon, souhaitait alors mettre en place un projet rassembleur d’envergure internationale qui résonnerait autant chez les Yukonnais anglophones que francophones. Ce lien entre les deux a été trouvé par Larry Bagnell, aujourd’hui député fédéral du Canada. Il avait en effet réussi à retracer deux ans auparavant l’histoire du poète Robert Service qui a vécu au Yukon ainsi qu’en France », souligne Yann Herry, initiateur du projet qui était à l’époque président de l’Association franco-yukonnaise et un enseignant en français passionné d’histoire. « Je voyais aussi dans ce projet de jumelage l’opportunité d’y greffer également des notions concernant les liens historiques entre le Canada et la Bretagne où se situe la ville de Lancieux », ajoute-t-il.

Le rêve devint réalité. Ainsi, en l’an 2000, une première délégation yukonnaise francophone, francophile et anglophone composée d’élèves et de membres de la communauté se rendait dans la ville de Lancieux. Cet événement officialisait enfin les liens d’amitié de ces deux villes.

Depuis maintenant vingt ans, près d’une dizaine de délégations yukonnaises, totalisant environ 150 Yukonnais, se sont rendues à Lancieux. D’autre part, la ville de Whitehorse procède annuellement au lever du drapeau de la ville européenne le troisième lundi du mois d’août, afin de rappeler ces liens.

« J’étais vraiment heureuse de pouvoir participer à cet échange culturel avec nos jeunes du Yukon », confie l’artiste Nicole Edwards qui a fait partie à l’époque de cette première délégation. « Cette expérience nous a permis d’apprendre sur soi et les autres à travers nos différences et nos ressemblances », ajoute-t-elle.

Marc Beaudin, qui était à l’époque âgé de quatorze ans et élève à l’École Émilie-Tremblay, souligne aussi à quel point ce voyage a agi comme un catalyseur dans son cheminement de vie.

« C’était mon premier voyage d’échange et je réalise aujourd’hui à quel point il m’a beaucoup aidé à construire ma fierté francophone. Après cet événement, j’ai eu le goût de continuer en participant par exemple aux Jeux de la francophonie ou au Parlement jeunesse. Aujourd’hui, je suis en train de considérer faire une résidence au Québec pour mes études en médecine, et tout vient de ce premier voyage », confie Marc qui est aujourd’hui doctorant en médecine à l’Université de l’Alberta. « Je connaissais déjà très bien à l’époque l’œuvre de Robert Service. Son poème The Cremation of Sam McGee demeure mon préféré », ajoute-t-il.

Le barde du Yukon

L’œuvre littéraire du poète- romancier d’origine écossaise Robert William Service a marqué tant le Yukon que le territoire de la côte bretonne où il est décédé. D’ailleurs, les écoles primaires de Dawson et de Lancieux portent son nom en son honneur.

L’histoire d’amour entre Robert Service et le Yukon nous oblige à retourner au début du 20e siècle. Il était alors à peine âgé d’une trentaine d’années lorsqu’on le retrouve pour une première fois d’abord à Whitehorse. C’est d’ailleurs à cet endroit qu’il commence à mettre sur papier ses premiers poèmes. Puis, en 1908, il décide de migrer vers la ville de Dawson où il se consacre rapidement à sa passion pour l’écriture à plein temps. Son œuvre est grandement inspirée à l’époque par le vaste territoire yukonnais et les nombreuses histoires épiques des chercheurs d’or des lieux.

Le poète nomade

Après un séjour d’environ sept ans au Yukon, le journal Toronto Star offre à l’artiste un poste de correspondant de guerre en Europe où sévissait à l’époque la guerre des Balkans. C’est durant ses nombreux déplacements européens qu’il rencontrera celle qui fera chavirer son cœur, la Française Germaine Bourgoin, qu’il épousera. Ce sera lors de leur voyage de noces qu’il découvrira la Bretagne dont ils s’éprendront rapidement. Ils décideront alors de faire l’achat d’une maison en bordure de mer dans la ville de Lancieux où le poète retourne chaque année jusqu’à son décès en 1958 à l’âge de 84 ans.

« Ce jumelage est comme un ami avec lequel j’ai grandi et un témoin transmis de ma grand-mère Iris Davies (la fille du poète décédée en 2005), à ma mère Anne Longépé, puis jusqu’à moi », confie Charlotte Service-Longépé, arrière-petite-fille de Robert Service « J’avais 10 ans quand Yann Herry et Larry Bagnell sont venus pour la première fois à Lancieux afin d’évoquer les prémisses du jumelage, avec ma grand-mère et Marie Dagorne, présidente de Rivages de Lancieux à l’époque (aujourd’hui décédée). Ce jumelage fait partie de mes souvenirs d’enfance; ils ont participé à forger mon devoir de mémoire actuel pour l’œuvre de mon arrière-grand-père », ajoute-t-elle.

Un 20e anniversaire adapté à la nouvelle réalité

En raison de la pandémie, une célébration s’est tenue exceptionnellement en ligne en août dernier. Pour l’occasion, on a pu entendre Sasha Emery et Kaitlyn Anderson de Whitehorse récitant le poème Chaque jour une vie, de Robert W. Service, qui rend hommage à la nature.

« La poésie a le pouvoir de lier les hommes, les communautés par-delà les continents et par des valeurs universelles qui permettent d’élever l’âme. Un sentiment dont nous avons d’autant plus besoin dans le monde actuel qui est en quête de sens », souligne Charlotte Service-Longépé qui a traduit le poème de son arrière-grand-père pour l’occasion.

Il est possible de visionner cette vidéo en se rendant à l’adresse suivante :

youtube.com/watch?v=bHDNaM7uv08&feature=youtu.be