Lucas Pilleri (Francopresse)
Un esprit pionnier règne encore dans le Grand Nord canadien. Pour de nombreux francophones, vivre au-delà du 60e parallèle, c’est faire le choix d’une vie plus proche de la nature, moins stressante, dans une communauté soudée.
« Cette statue est dédiée à tous ceux qui ont suivi leurs rêves », peut-on lire au pied de la statue du chercheur d’or à Whitehorse. Les nouveaux pionniers du 21e siècle tentent eux aussi leur chance dans le Grand Nord : amoureux de la nature, professionnels du secteur minier, artistes écolos, amateurs de plein air…
Pour Émilie Thibeault-Maloney, jeune Québécoise résidant au Yukon depuis 2013, c’est l’ouverture d’esprit qui importe : « Les gens ici sont polyvalents, curieux des possibilités, ils sont touche-à-tout. »
Terres d’opportunités
Il faut dire que les opportunités professionnelles sont alléchantes : moins de concurrence et d’agressivité que dans les métropoles et plus de liberté pour explorer de nouvelles voies. Émilie Thibeault-Maloney, par exemple, est enseignante de français langue seconde sans avoir le diplôme. « C’est un bon endroit pour essayer de nouvelles choses, observe-t-elle. Je n’aurais pas pu faire ça au Québec. »
Selon l’Étude du profil des migrants et immigrants francophones dans les territoires du Nord canadien publiée en 2016 par Christophe Traisnel, professeur à l’Université de Moncton, le taux de chômage des francophones était de 1,9 % dans les Territoires du Nord-Ouest (T.N.-O.), de 4,3 % au Nunavut et de 12,5 % au Yukon. Leur revenu médian annuel avoisinait les 62 000 $ dans les T.N.-O., 41 000 $ au Yukon, et 80 000 $ au Nunavut. Pour la perspective, la moyenne nationale des francophones est de moins de 30 000 $.
À cela, il faut ajouter les avantages fiscaux : les taux d’imposition pour les particuliers sont parmi les plus faibles et seule existe la taxe fédérale sur les produits et services de 5 %. Revers de la médaille : le coût de la vie est plus élevé, les frais de transport étant souvent répercutés sur les prix et loyers, parfois plus coûteux qu’à Vancouver ou Toronto.
Une vie paisible
Vivre dans le Nord, c’est surtout aimer le grand air. Chasse, pêche, canot, camping, ski de fond, raquettes… Là-bas, l’hiver ne rebute personne.
Le sentiment de liberté domine dans les territoires. Nelly Guidici, pigiste pour le journal l’Aurore boréale, le savoure : « On se sent seuls au monde rapidement ici, on peut s’évader sans avoir à marcher pendant des heures. » Avec une densité de 0,1 habitant par kilomètre carré, le monde se fait effectivement rare. « Avant, on passait notre temps à courir, à échapper aux bouchons », témoigne celle qui est originaire de Lyon, en France, mais qui est établie à Whitehorse depuis 2011.
Pour Kelly Tabuteau, installée au Yukon depuis 2016, le Nord est un paradis blanc. Son aventure, documentée sur son blogue, tranche nettement avec sa vie terne de banlieue parisienne. Aujourd’hui, son rêve de devenir musher prend forme. Elle a eu la chance de travailler avec Marcelle Fressineau, qui a parcouru plus de 100 000 km en traîneau à chiens. « J’aime la communion avec la nature et les animaux », évoque l’apprentie.
Ce qui plaît à la jeune femme, c’est de vivre dans l’un des derniers espaces vierges de la planète, à 500 km au sud du cercle arctique. « Être seule au milieu de nulle part », parmi les aurores boréales, le soleil de minuit au solstice d’été, les paysages sans fin…
L’esprit du Nord
La culture de l’accueil et l’esprit de solidarité retiennent les francophones. Émilie Thibeault-Maloney a bénéficié de la chaleur des Yukonnais : « J’ai été accueillie, conviée aux événements et même invitée pour Noël. » Pour la grande voyageuse, là est toute la différence. Arrivée en 2013 pour quelques semaines, elle vit toujours là cinq ans plus tard. « Je me sens chez moi ici », exprime la Yukonnaise d’adoption.
Pour François Afane, directeur général du Conseil de développement économique des Territoires du Nord-Ouest, un véritable « tissu communautaire » se forme autour des nouveaux venus. « Les accueillis d’hier sont les accueillants d’aujourd’hui », résume-t-il. Pour lui, à la grandeur du territoire correspond une ouverture et une envie de découverte caractéristiques de l’identité nordique.
Les francophones et le Nord, une vieille histoire
La présence des francophones dans le Grand Nord ne date pas d’hier. Dès le 17e siècle, explorateurs, coureurs des bois, interprètes et guides participent au développement de la région. D’après le recensement de 2016, ils constituent près de 4 % de la population du Yukon, 3 % des T.N.-O. et 1,3 % du Nunavut. Comparativement, on compte 3,5 % de personnes de langue maternelle française en situation linguistique minoritaire au Canada.
La grande majorité des francophones présents ne sont pas nés dans les territoires. Dans les T.N.-O., ils viennent surtout d’Afrique. Au Yukon, ce sont plutôt des Européens originaires de Belgique, de Suisse, ou de France. Il faut aussi inclure tous les Canadiens des autres provinces, avec en tête le Québec, l’Ontario et le Nouveau-Brunswick.
Pour les servir, la communauté s’organise. À Whitehorse, l’Association franco-yukonnaise aide à la recherche d’emploi, au lancement d’entreprise et accompagne les familles. L’école Émilie-Tremblay accueille les enfants depuis plus de 30 ans.
Dans les T.N.-O., la Fédération franco-ténoise, l’hebdomadaire L’Aquilon, la radio communautaire Radio Taïga, et l’Association franco-culturelle vivent sous le même toit de la Maison bleue à Yellowknife. Tous se serrent les coudes face à un taux d’assimilation fort, résultat d’un triple isolement — géographique, ethnique et linguistique. Car le français n’est jamais majoritaire, souvent derrière une langue autochtone et l’anglais.
Pour François Afane, l’esprit communautaire est incomparable. La communauté vit au rythme des événements fédérateurs comme la Saint-Jean-Baptiste en juin, le château de glace ou la fameuse cabane à sucre en hiver. Mais le responsable voudrait voir encore plus de francophones s’établir à Yellowknife. « Le Nord est ouvert, on veut du monde! », scande-t-il.
La stratégie séduit puisque l’âge médian des francophones est de 37 ans dans les T.N.-O., 38 ans au Nunavut et 42 ans au Yukon, et la tranche d’âge la plus affluente de ces dernières années est celle des 25-34 ans. Ces jeunes qualifiés se destinent principalement à l’administration publique, à l’enseignement et aux soins de santé.
Les terres du soleil de minuit n’ont pas fini d’attirer des francophones issus des quatre coins du monde, avides de liberté. Dernière frontière du Canada, les territoires invitent tous ceux tentés par une vie loin des villes, où la communauté devient vite une famille.
Un endroit aux paysages hors-norme où se côtoient douceur de vivre et aventures inoubliables.