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le Jeudi 8 mars 2018 14:37 Scène locale

Le budget fédéral a pensé aux communautés francophones

Le ministre des Finances du gouvernement Trudeau, Bill Morneau, a annoncé un financement de 400 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour soutenir les langues officielles. Photo fournie
Le ministre des Finances du gouvernement Trudeau, Bill Morneau, a annoncé un financement de 400 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour soutenir les langues officielles. Photo fournie

/ Jean-Pierre Dubé

L’annonce d’un financement fédéral de 400 millions de dollars sur cinq ans pour soutenir les langues officielles du Canada devrait faire passer le total de cette enveloppe budgétaire de 1,12 milliard $ en 2013-2018 à 1,52 milliard $ pour 2018-2023. La nouvelle a ravi la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada qui exigeait une enveloppe de 575 millions supplémentaires pour les communautés francophones, avant de convenir que cette somme devrait être partagée avec les communautés anglophones du Québec.

Le ministre des Finances du gouvernement Trudeau, Bill Morneau, a annoncé un financement de 400 millions de dollars supplémentaires sur cinq ans pour soutenir les langues officielles. Photo fournie

Même son de cloche de la part du Quebec Community Groups Network. Dans un communiqué du 28 février, l’organisme s’est félicité de cet apport d’argent frais. « Les Québécois d’expression anglaise ont toutes les raisons d’être optimistes au sujet des énoncés concernant le prochain plan d’action fédéral sur les langues officielles », a déclaré son président James Shea.

M. Shea a ajouté que cet investissement était notamment prometteur pour les secteurs des arts, de la culture et du patrimoine de sa communauté, ainsi que pour les journaux anglophones.

« Je n’ai aucun problème à ce que ce soit le cas », a affirmé à l’Acadie Nouvelle le président de la FCFA, Jean Johnson, « mais ça affecte la balance du montant total. »

En matière de répartition des fonds, le secteur de la santé est le mieux nanti de la Feuille de route avec 92 millions de dollars sur cinq ans. Les minorités anglophones et francophones ont obtenu chacun la moitié de la contribution fédérale. Ce partage n’est toutefois pas représentatif des autres enveloppes.

Les groupes qui attendent une aide urgente devront patienter. Sur les 400 millions, une injection de 32 millions est prévue en 2018-2019, comparativement à 68 millions l’année suivante. Ce qui signifie que le ministère voudrait consacrer la première année à définir l’encadrement des nouveaux programmes, notamment pour les médias desservant les communautés minoritaires, les écoles et la petite enfance.

La réaction de l’AFY

Dans un communiqué, l’organisme porte-parole de la communauté francophone du Yukon, l’Association franco-yukonnaise (AFY) s’est lui aussi réjoui des investissements supplémentaires promis par Ottawa. L’AFY a vu dans cette annonce « des signaux positifs » et s’est déclarée prête à collaborer avec le gouvernement à la mise en œuvre du Plan d’action pour les langues officielles. L’organisme a toutefois indiqué qu’il serait important d’étudier plus précisément la répartition de l’investissement fédéral de 400 millions de dollars.

« Nous sommes très heureux de cette annonce », a commenté le président de l’AFY, André Bourcier. « Bien que nous ne possédions pas encore tous les détails concernant le financement et les programmes qui y seront rattachés, cette injection de nouveaux investissements devrait nous permettre de répondre aux besoins grandissants de la communauté franco-yukonnaise qui est en croissance constante depuis plusieurs années. »

Plan d’action ou feuille de route?

Cette question de la répartition et de l’utilisation des fonds est essentielle, selon le constitutionnaliste Gabriel Poliquin, qui reconnaît certes une avancée, mais pointe les nombreuses zones d’ombre qui menacent encore les communautés minoritaires.

« Le positif, c’est qu’on a dépassé les années du gouvernement Harper où on a eu une perte de financement progressive », note M. Poliquin. « Mais est-ce que le gouvernement a répondu à la demande de la FCFA? Il y a de très fortes raisons d’en douter, non seulement en termes de comptabilité, mais aussi sur le plan des priorités. »

L’avocat d’Ottawa reconnaît toutefois que certains enjeux critiques sont mentionnés, comme l’immigration francophone, la petite enfance ou encore la survie des radios et journaux communautaires, qui demeurent « une inquiétude très prioritaire pour les communautés ».

« On retourne à un plan d’action, mais je pense que “feuille de route” est peut-être plus appropriée pour ce qui s’en vient. On peut se demander s’il va y avoir beaucoup d’action dans ce plan », s’interroge M. Poliquin.

Selon l’avocat, les communautés francophones ne devraient pas s’attendre à voir leurs ressources financières décoller. En la matière, la FCFA s’était basée sur une étude d’experts pour publier fin novembre une analyse de la répartition des contributions fédérales. Dans un communiqué, l’organisme tirait des conclusions illustrant les carences dans l’appui aux communautés.

« Les organismes et les institutions francophones n’ont reçu que 0,25 $ de chaque dollar investi dans la Feuille de route, et 0,07 $ des paiements de transfert de Patrimoine canadien en langues officielles. On sort réellement d’une décennie de plans quinquennaux par le gouvernement, pour les gouvernements. Comment s’étonner qu’on commence à voir des organismes francophones fermer leurs portes? »

Les gouvernements gardent la main

Rien n’indique encore que cette répartition des fonds se retrouvera dans le prochain plan d’action du gouvernement Trudeau, au pouvoir depuis un peu plus de deux ans. Toutefois, une entente de financement significative de 14 millions de dollars sur trois ans a tout de même été signée au printemps dernier entre le gouvernement fédéral et le gouvernement du Yukon, afin d’appuyer le développement des services en français et la création de postes gouvernementaux désignés bilingues. Cet investissement s’ajoute au million de dollars versés chaque année par Ottawa au gouvernement du Yukon.

Le financement des organismes yukonnais de représentation des intérêts francophones, à l’image de l’AFY ou du groupe Les EssentiElles, est lui bien inférieur à ces montants. En 2016, l’AFY avait ainsi reçu de Patrimoine canadien un financement d’environ 1,5 million de dollars sur trois ans, et le groupe Les EssentiElles, 150 000 dollars pour la même période.

Bien que les millions versés par Ottawa au gouvernement territorial, par l’entremise de la Direction des services en français (DSF), soient investis pour financer des projets et des programmes gouvernementaux, leur développement et leur mise en œuvre font cependant généralement l’objet d’une collaboration avec les organismes francophones concernés. Ces derniers peuvent par ailleurs approcher le gouvernement du Yukon afin d’obtenir du financement pour des projets ou programmes spécifiques. Cependant, ces fonds ne proviennent généralement pas d’une enveloppe spécifiquement réservée à l’appui aux langues officielles.

La réalité des minoritaires

Selon Gabriel Poliquin, la FCFA fait ce qu’elle peut pour mener à bien sa mission de représentation. « C’est un organisme dynamique qui fait son travail comme porte-parole. Peu importe l’organisme, c’est la réalité d’être minoritaire. On n’est pas grand monde et notre poids politique relatif sur la scène fédérale fait en sorte qu’il peut être difficile de rappeler au gouvernement que le bilinguisme est une priorité. »

Quelle est alors l’utilité de menacer de combattre les libéraux sur le plan électoral, comme l’a fait la FCFA à la veille de l’annonce du budget?

« Il est important de continuer à travailler d’arrache-pied, à faire pression sur le gouvernement par tous les moyens possible », assure M. Poliquin qui rappelle que le fédéral fait du bilinguisme une priorité parce qu’il a des obligations en vertu de la Constitution et de la Loi sur les langues officielles. « C’est parce que ces instruments sont en place qu’ils le font. Mais on voit que ce n’est pas une priorité d’avant-plan. C’est toujours le cas, peu importe le dynamisme des organismes communautaires. S’adresser aux tribunaux, c’est le levier qui est en place et c’est très puissant. »