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le Jeudi 9 novembre 2017 11:36 Scène locale

Régions de l’Ouest et du Nord : quelle couverture médiatique?

Maxence Jaillet (au centre), directeur du journal L'Aquilon, aux TNO, réagit à l'annonce de l'arrivée de Radio-Canada en français au territoire. Photo fournie
Maxence Jaillet (au centre), directeur du journal L'Aquilon, aux TNO, réagit à l'annonce de l'arrivée de Radio-Canada en français au territoire. Photo fournie

Lucas Pilleri (Francopresse)

Couverts principalement par les médias communautaires, les populations francophones de l’Ouest et du Nord reçoivent peu d’attention du diffuseur public Radio-Canada. L’entreprise, soutenue par un réinvestissement fédéral massif, entend bien pallier ce manque en installant des journalistes à temps plein dans le Grand Nord. Comment se passe l’intégration avec les journaux et radios communautaires déjà en place?

Jusqu’ici sans couverture de Radio-Canada, les Territoires du Nord-Ouest (T. N.-O.) bénéficieront désormais d’un vidéojournaliste à temps plein à Yellowknife, comme c’est déjà le cas au Yukon. « Notre stratégie est axée sur la couverture du territoire », confie Marco Dubé, directeur général des Services régionaux de Radio-Canada.

Maxence Jaillet (au centre), directeur du journal L'Aquilon, aux TNO, réagit à l'annonce de l'arrivée de Radio-Canada en français au territoire. Photo fournie

Maxence Jaillet (au centre), directeur du journal L’Aquilon, aux TNO, réagit à l’annonce de l’arrivée de Radio-Canada en français au territoire. Photo fournie

« Depuis des années, la communauté franco-ténoise revendiquait le fait de pouvoir avoir une représentation de Radio-Canada », commente Maxence Jaillet, directeur du journal L’Aquilon et de la Société Radio Taïga. « Nos médias communautaires étaient jusqu’à présent les seuls à diffuser du contenu francophone provenant des T. N.-O. », rappelle-t-il.

Un contexte favorable

Le 28 septembre dernier, lors de la présentation du Canada créatif, le gouvernement s’est engagé à soutenir les médias écrits communautaires en situation minoritaire, conscient de l’importance des nouvelles locales. L’État entend ainsi réaffirmer sa position au sein de communautés francophones parfois ignorées.

« C’est une question de conjoncture », admet M. Dubé. Avec ce regain d’intérêt du gouvernement, les subventions reviennent : « Nous avons vécu des compressions budgétaires importantes au cours de la dernière décennie et il était très difficile d’ajouter des services permanents. Aujourd’hui, il y a un réinvestissement fédéral dans Radio-Canada », explique-t-il. On parle ici de 675 millions de dollars réinvestis sur cinq ans.

Du côté des médias communautaires, on se questionne : « Est-ce que Radio-Canada sera le seul bénéficiaire de l’argent réinjecté par Patrimoine canadien? », se demande le rédacteur en chef de L’Aquilon. « Ce serait bien de ne pas oublier les petits médias communautaires », rejoint Thibaut Rondel, directeur de L’Aurore boréale au Yukon.

Quelle place pour Radio-Canada?

Les médias communautaires, présents depuis des décennies, doivent composer avec le nouvel acteur médiatique. « Nous sommes là depuis 30 ans avec L’Aquilon : on a une façon de faire, une connexion avec la communauté, on a rempli pendant toutes ces années le mandat d’être la source d’information en français dans les T. N.-O. », souligne Maxence Jaillet.

Du côté du diffuseur public, M. Dubé assure que l’objectif est de bonifier l’offre présente : « C’est important que le diffuseur public soit présent dans une région où la francophonie est vibrante et active. On veut couvrir des sujets qui témoignent de la réalité des auditoires des régions et témoigner de la vitalité culturelle des communautés francophones éloignées des grands centres. »

Des mandats différents

Hélène Lequitte, rédactrice en chef du Franco en Alberta, rappelle que « les mandats ne sont pas les mêmes ». D’un côté, les journaux communautaires représenteraient la communauté francophone, de façon locale et resserrée, et de l’autre, Radio-Canada aurait vocation à couvrir des sujets plus larges « avec d’autres moyens ».

D’où le manque de couverture qui se fait parfois ressentir au sein des communautés rurales. Le projet de nouvelle radio communautaire en Alberta, Radio Cité, a d’ailleurs été motivé par l’envie de « retrouver la communauté » pour Carole St Cyr.

À la suite de la réduction du nombre d’heures d’antenne dédiées aux enjeux de l’Ouest canadien, la présidente de Radio Cité souhaitait « combler les heures où c’est Montréal qui prend le relais ». Elle observe que « les équipes de Radio-Canada ont changé et ont perdu le contact avec la communauté », expliquant ainsi le désintérêt progressif d’une partie de la population.

Mais la différence de mandat est parfois floue. Pour Thibaut Rondel, directeur de L’Aurore boréale à Whitehorse, « les mêmes sujets avec les mêmes intervenants » sont parfois traités à Radio-Canada. Cette duplication de contenu aurait tendance à s’accentuer avec le virage numérique, mêlant « complémentarité et concurrence » pour le responsable.

Faut-il souhaiter une collaboration?

Aux T. N.-O., des consultations téléphoniques ont été menées entre Radio-Canada et des représentants de la communauté franco-ténoise, « de manière à ce que notre contribution ne nuise pas à l’équilibre médiatique actuel », précise le directeur à Radio-Canada. Après tout, « on vise tous le même objectif : offrir du contenu en français aux francophones », poursuit-il.

Afin que Radio-Canada ne soit pas un compétiteur pour les médias communautaires déjà en place, Maxence Jaillet reste ouvert à la collaboration.

Au fond, il considère l’arrivée de Radio- Canada à Yellowknife comme « une alternative au bénéfice de la communauté ».

Pour M. Rondel, toutefois, une collaboration n’est pas souhaitable à l’heure actuelle avec la journaliste de Radio-Canada basée à Whitehorse, car « nos journaux doivent impérativement conserver leur indépendance et leur liberté de ton ». Il reconnaît néanmoins le bénéfice de la « pluralité des médias francophones dans le Grand Nord canadien ».

Avec une éventuelle ouverture de poste permanent au Nunavut, « un projet en réflexion » révèle Marco Dubé, le paysage médiatique s’apprête à se diversifier. Reste à souhaiter que « plus la faune médiatique est diverse, plus elle s’enrichit », comme l’estime la rédactrice du Franco.