La langue française poursuit sa progression au Yukon et dans les territoires, tandis que la francophonie continue de reculer dans de nombreuses autres régions du pays. Voici, en somme, l’enseignement que l’on peut tirer de la publication du 2 août dernier des données sur la langue recueillies lors du Recensement 2016 de Statistique Canada.
Les territoires en marche
Les données sur la langue révèlent que parmi les provinces et territoires du Canada où l’on note les plus fortes hausses du pourcentage de population ayant le français comme première langue officielle parlée, on retrouve le Nunavut (de 1,5 % à 1,8 %), les Territoires du Nord-Ouest (de 2,6 % à 3,0 %) et le Yukon (de 4,4 % à 4,6 %).
Aujourd’hui, la minorité franco-yukonnaise représente donc une part un tantinet plus importante de la population yukonnaise. Cette tendance se traduit également en ce qui concerne le nombre : en 2016, 1 635 personnes déclaraient posséder le français comme première langue officielle parlée, contre 1 485 en 2011. Cela équivaut à une augmentation de 10,1 %.
En ce qui a trait au bilinguisme français-anglais, le Yukon fait encore une fois figure de bon élève, puisque le Recensement 2016 révèle une augmentation de l’ordre de 10,9 % du nombre de Yukonnais bilingues. En 2011, les personnes déclarant parler le français et l’anglais étaient ainsi 4 420 au territoire. Cinq ans plus tard, on en dénombrait 4 900.
Ramenés au pourcentage de la population totale du territoire, ces chiffres traduisent une évolution du taux de bilinguisme au Yukon de 13,1 % à 13,8 % en l’espace de cinq ans.
« Une excellente nouvelle » pour l’AFY
Alors que la population totale du Yukon n’a augmenté que de 5,8 % entre 2011 et 2016 (contre, rappelons-le, 10,1 % pour le français langue première et 10,9 % pour le bilinguisme), les données de Statistique Canada semblent être accueillies positivement par les acteurs locaux. En l’espace de cinq ans, la francophonie au territoire a en effet progressé presque deux fois plus vite que l’ensemble de la population yukonnaise.
Peut-on alors réellement parler de bonne nouvelle pour le territoire? « Absolument », selon Isabelle Salesse, directrice générale de l’organisme porte-parole officiel et leader du développement de la communauté francophone du Yukon, l’Association franco-yukonnaise (AFY) : « On doit se réjouir de ces nouvelles-là au Yukon, parce que ça confirme une tendance depuis 2006. Les chiffres n’arrêtent pas d’augmenter autant sur le plan du français langue première que sur celui du bilinguisme. Donc, c’est une excellente nouvelle pour le développement de la communauté et de la vitalité de la communauté franco-yukonnaise. »
L’AFY a de quoi se réjouir puisque ces statistiques officielles représentent un argument de poids auprès des décideurs politiques lorsqu’arrive le temps des demandes de financement pour les communautés canadiennes de langue officielle en situation minoritaire (CLOSM).
« Quand le gouvernement du Yukon va négocier avec Patrimoine canadien sur les services en français, c’est intéressant d’avoir ces données-là et de pouvoir dire qu’il y a une progression constante », explique Mme Salesse. « C’est un outil pour aller chercher du financement, mais c’est aussi un outil qui démontre que ça vaut la peine d’investir [dans les communautés] puisqu’on arrive quand même à avoir des nombres qui augmentent. »
La directrice générale de l’AFY se félicite également de l’essor du bilinguisme au territoire. Selon elle, cet engouement pour les programmes de français langue seconde pourrait être attribuable en partie à la nature même du territoire et des gens qui l’habitent.
« Il y a un programme d’immersion qui est extrêmement populaire […] et il y a des gens qui sont ouverts, il y a des gens qui viennent de partout », explique-t-elle. « C’est un dynamisme qui est peut-être différent de certains autres endroits… même si je ne connais pas tous les autres endroits au Canada, et que je ne me permettrais donc pas d’évaluer! Mais c’est certain que le Yukon est quand même un endroit spécial. Il y a plus d’une centaine d’inscriptions par session aux cours de français langue seconde aux adultes, et on parle là du Yukon, donc ça démontre quand même un certain intérêt pour le français langue seconde. »
Un bilan global mitigé
« Nous n’avons jamais été aussi nombreux à parler français au Canada, mais le poids de la francophonie continue de reculer dans plusieurs régions du pays. Ce que [ces chiffres nous disent], c’est qu’il faut de l’action immédiatement pour préserver, maintenir et augmenter la présence du français dans toutes les régions du Canada », a déclaré le président de la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, Jean Johnson, au matin de la publication des chiffres du Recensement de 2016 sur les langues. « En cette année du 150e anniversaire de la Confédération, connaissant le rôle que la francophonie a joué dans l’histoire du Canada, et avec l’idée que nous nous faisons de la place de choix qu’elle doit occuper dans le Canada de demain, il n’y a pas de quoi être satisfait. Loin de là. En 2017, nous ne sommes pas du tout où nous devrions être. »
Sur le plan national, on constate une croissance de la francophonie, notamment en Alberta et dans les territoires, mais un recul dans toutes les provinces de l’Atlantique, sauf Terre-Neuve-et-Labrador, ainsi qu’au Manitoba et en Saskatchewan. L’usage du français comme langue prédominante à la maison continue par ailleurs de décliner partout au pays.
Les données révèlent que plus de 2,7 millions de Canadiens et Canadiennes qui vivent à l’extérieur du Québec parlent le français, et un peu plus d’un million l’ont comme première langue officielle.
« Voir des régions francophones comme la Péninsule acadienne ou l’Est ontarien en difficulté, oui, c’est inquiétant. Voir que le français continue de régresser à la maison, c’est inquiétant. Et même s’il est encourageant de voir la population francophone augmenter dans les grandes villes, encore faut-il que ces gens-là aient accès à des services, des activités, une vie socioculturelle en français. Ces défis-là, c’est aujourd’hui qu’il faut s’y adresser, et vigoureusement », a fait savoir M. Johnson, qui espère voir dans le prochain plan d’action sur les langues officielles promis par la ministre Mélanie Joly « une réelle politique de développement global plutôt qu’une liste d’initiatives. »
Un plan d’action attendu
Réagissant aux chiffres, la commissaire aux langues officielles par intérim, Ghislaine Saikaley, a incité le gouvernement fédéral « à prendre des mesures tangibles qui tiennent pleinement compte des données dévoilées par Statistique Canada » concernant les langues officielles dans les territoires.
« Le gouvernement fédéral doit continuer de travailler en collaboration avec les gouvernements territoriaux pour accroître l’immigration dans les communautés francophones et pour s’assurer que ces dernières ont les moyens en place pour agir comme communauté d’accueil », a-t-elle notamment déclaré.
La commissaire par intérim a également pris note de la hausse globale du nombre de personnes qui parlent une langue autochtone à la maison au Canada. Elle assure reconnaître également l’importance des langues autochtones comme partie fondamentale du tissu social canadien.
Au Yukon, dans les cinq premières langues maternelles autres que le français et l’anglais, le Kaska (Nahani), 3e en 2011 derrière l’allemand et le tagalog, disparaît cependant du classement en 2016. Dans les cinq premières langues parlées à la maison, il augmente certes en nombre de locuteurs, mais rétrograde de la quatrième position en 2011 à la cinquième en 2016, devancé par le cantonais.
Le Tutchone du Nord progresse quant à lui d’une place dans les cinq premières langues maternelles.
En tête de ces classements, le tagalog explose et devance pour la première fois l’allemand. La langue de la communauté immigrante philippine a augmenté de plus de 100 % en cinq ans, et compte aujourd’hui près de 1 000 locuteurs, contre moins de 500 en 2011.