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le Jeudi 30 avril 2015 11:32 Scène locale

La philosophie pour les enfants

Olivier de Colombel

Un enfant de 8 ans : « Moi, j’aime ça quand le monde donne leurs idées, parce qu’on est tous différents, et quand c’est toujours les mêmes, c’est plate. Ça ici, c’est comme un gros rond de cerveaux, et tout le monde est intelligent! »

Kelly Pelletier Michaud lors d'un atelier de philosophie pour les enfants de l'école Émilie-Tremblay Photo : Manon Levesque..

Kelly Pelletier Michaud lors d’un atelier de philosophie pour les enfants de l’école Émilie-Tremblay Photo : Manon Levesque..

Un nouveau projet pilote a vu le jour à l’École Émile-Tremblay, à l’initiative de Kelly Pelletier Michaud arrivée au Yukon en août 2014. Elle est éducatrice spécialisée certifiée en psychologie et bientôt en philosophie. Il s’agit d’inviter la philosophie deux fois par semaine dans les classes de 1re année en formant des « communautés de recherche philosophique », appellation dédiée (CRP).

Kelly anime ces ateliers en suivant les pas du maître de la discipline Matthew Lipman, philosophe et pédagogue américain. Kelly raconte : « M. L. s’est rendu compte que ses élèves ne connaissaient pas les principes de base de la philosophie, à savoir l’esprit critique. Il s’est donc posé la question : pourquoi ne l’apprennent-ils pas plus tôt? » Il est ainsi devenu le créateur et le principal développeur de la philosophie pour les enfants depuis une trentaine d’années. Son influence est mondiale et tous les praticiens, pédagogues ou philosophes qui font de près ou de loin de la philosophie pour les enfants de par le monde se réclament de lui, ou le citent comme influence principale. Le modèle de Lipman s’est vu transposé au Québec en particulier par les chercheurs de l’Université Laval, sous l’égide de Michel Sasseville, professeur avec lequel Kelly a étudié.

Un peu d’histoire!

L’idée d’initier les enfants à la philosophie n’est pas récente. Déjà, en plein Moyen-Âge, de jeunes adolescents étaient invités à se pencher sur les règles gouvernant leur activité de pensée afin de voir comment celle-ci pouvait les aider à diriger leur vie d’une manière plus éclairée. Mais, pour des raisons qu’il reste encore à découvrir, cette façon de faire a disparu peu à peu du monde de l’éducation, si bien qu’il a fallu attendre des siècles pour voir à nouveau la philosophie venir à la rescousse de ceux et celles qui s’occupent de l’éducation du petit de l’être humain.

Pourquoi avoir choisi cette discipline?

« Je suis quelqu’un de très introspectif, je me posais des questions sur ce que je voulais faire, je suis allée voir une conseillère d’orientation qui m’a parlé de la philosophie pour enfants, je me suis renseignée un petit peu plus… et je suis tombée dedans! » confie Kelly.

Kelly ne se définit pas comme une professeure de philosophie : « Je sers de guide dans la recherche. La plupart des questions viennent des enfants. Je n’apporte pas de réponses, j’apporte des questionnements. Nous sommes en recherche commune, nous ne sommes pas en débat, nous sommes en dialogue. »

Comment se déroule un atelier?

À chaque séance, les élèves et l’animatrice commencent par une lecture à voix haute d’un passage d’un roman philosophique conçu par Mattew Lipman. Il existe plusieurs romans, chacun abordant des problèmes adaptés au niveau de chaque âge. « La plupart du temps, c’est l’histoire d’un élève qui va à l’école et qui se pose des questions sur ce qui se passe autour de lui avec un esprit critique », explique Kelly. S’ensuit une « cueillette » des questions. « Il n’y a pas de mauvaises questions, il n’y a pas de mauvaises réponses non plus », précise-t-elle. Puis s’engage une discussion autour de l’un ou de plusieurs thèmes qu’ils ont choisi d’examiner, en favorisant l’argumentation et la reformulation, le tout avec les valeurs démocratiques d’écoute et de tolérance. Enfin, après la discussion, voire pendant celle-ci, l’animatrice soumet les enfants à des exercices issus du guide pédagogique afin de renforcer les amorces générées par le débat démocratico-philosophique.

Kelly précise : « Ici, on apprend plus à être philosophe qu’à apprendre des philosophes. Beaucoup de personnes pensent que les enfants ne sont pas capables d’apprendre les concepts d’esprit critique et de questionnements, ce qui est faux. »

Des résultats observables

Des recherches faites sur le sujet montrent qu’après quelques mois de pratique, les élèves suivant les ateliers de philosophie avaient une grande longueur d’avance sur les autres. Les impacts sont nombreux, notamment sur les plans de l’esprit critique, de la logique, de l’estime de soi, de la communication non violente et ainsi de la prévention de la violence, des relations interpersonnelles en général. La philosophie pour enfant est soutenue par des organismes internationaux tels l’UNESCO et l’UNICEF.

Kelly raconte qu’après une discussion intense qui avait tourné à la confrontation, un des enfants concernés s’exprima ainsi : « Moi, je n’ai pas aimé ça quand on s’est obstinés, parce qu’on ne faisait plus la philosophie, on essayait juste d’avoir raison. Alors qu’on aurait pu juste admettre qu’on n’est pas d’accord. »

Pour en savoir plus sur le sujet, on trouve de nombreux renseignements ainsi qu’une série documentaire présentée par Michel Sasseville sur le site philoenfant.org. Également le film Ce n’est qu’un début est à découvrir sur cenestquundebut.com.