Gérard Lévesque, avocat et notaire
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Le 21 janvier dernier, la Cour suprême du Canada a entendu une autre cause relative à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés. Il s’agit du dossier Commission scolaire francophone du Yukon c. Procureure générale du Territoire du Yukon.

obert Maddix, président de la FNCSF, était présent à Ottawa lorsque la Cours suprême a entendu la cause de la Commission scolaire francophone du Yukon. Photo : courtoisie FNCSF.
En plus des deux parties, il y a eu les intervenants suivants : la procureure générale du Québec, le procureur général de la Saskatchewan, le procureur général des TNO, le procureur général de la Colombie-Britannique, le commissaire aux langues officielles du Canada, la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA), le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique, la Fédération des parents francophones de Colombie-Britannique, la Fédération nationale des conseils scolaires francophones et la Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada.
Sur toutes les pages des mémoires des parties et des intervenants, il est inscrit qu’il y a une interdiction de publication. Au début de l’audience, la juge en chef a indiqué que l’ordonnance d’interdiction de publication vise à protéger l’identité d’un enfant et de ses parents. Les documents relatifs aux affaires faisant l’objet d’une ordonnance de non-publication peuvent toutefois être consultés par le public et par les médias. Et les personnes intéressées à visionner en différé le déroulement de l’audience peuvent le faire grâce au site Internet de la Cour suprême du Canada.
Le dossier soulève les questions constitutionnelles suivantes :
1. Les articles 2, 5 et 9 du Règlement sur l’instruction en français du Yukon contreviennent-ils à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés ?
2. Dans l’affirmative, s’agit-il d’une atteinte portée par une règle de droit dans des limites qui sont raisonnables et dont la justification peut se démontrer dans une société libre et démocratique suivant l’article premier de la Charte canadienne des droits et libertés?
Dans son mémoire, la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) rappelle qu’après la création du Yukon en 1898, il était illégal d’enseigner en français, ce qui a mené à près de 100 ans d’assimilation. Depuis 1996, le gouvernement du Yukon permettait à la CSFY de gérer les admissions à l’école de langue française. Toutefois, le 17 mai 2010, soit le premier jour du procès intenté par la CSFY, le gouvernement a retiré à la Commission scolaire francophone ce pouvoir de gérer les admissions. D’après la CSFY, l’effet principal du Règlement est de favoriser l’assimilation. Puisque l’article 23 de la Charte doit être interprété de façon réparatrice, la CSFY prend la position que le Règlement du Yukon enfreint la Charte canadienne.
Le CSFY attire aussi l’attention sur le fait que le Yukon a adopté une politique faisant de l’anglais la langue de travail du gouvernement, ce qui est contraire à l’article 6 de la Loi sur les langues (Yukon) qui fait de l’anglais et du français les deux langues officielles du territoire. « La CSFY, son personnel et le personnel de l’école de langue française sont des membres du public et donc ont le droit de communiquer et de recevoir des services en français conformément aux articles 16 et 20 de la Charte canadienne et l’article 6 de la Loi sur les langues ».
Pour sa part, le Québec « soutient la validité constitutionnelle des dispositions contestées du Règlement du Yukon, lesquelles présentent plusieurs similitudes avec les dispositions de la Charte de la langue française ».
Après avoir souligné que le législateur québécois fait preuve d’ouverture en matière de droits scolaires en accordant à sa minorité anglophone des droits qui vont au-delà du minimum constitutionnel établi par l’article 23, le Québec indique son opposition à toute interprétation de cet article qui aurait comme conséquence d’élargir le pouvoir de gestion et de contrôle des représentants de la minorité. « Dans le contexte québécois où l’anglais exerce un fort pouvoir d’attraction sur les francophones et les allophones, un tel élargissement du pouvoir de gestion et de contrôle des représentants de la minorité anglophone aurait de graves conséquences sur la protection de la langue française et sur l’organisation du réseau scolaire. »
La reconnaissance d’un tel pouvoir aux représentants de la minorité anglophone « compromettrait le fragile équilibre de la dynamique linguistique québécoise et nuirait à la protection du français dont la vitalité bénéficie non seulement aux Québécois, mais aussi à l’ensemble des francophones du Canada. »
Cette intervention du Québec contre la démarche d’une communauté francophone établie dans un territoire à majorité anglophone rappelle le triste souvenir de la situation vécue par les Franco-Albertains, le 14 juin 1989, alors que le Québec s’est présenté devant le plus haut tribunal du pays pour s’opposer à notre revendication de gestion de nos établissements d’enseignement. Heureusement, dans ce dossier-là, le 15 mars 1990, la Cour suprême du Canada a donné raison à Jean-Claude Mahé, Angéline Martel, Paul Dubé et l’Association de l’école Georges et Julia Bugnet.
Pour plus de renseignements :
Deux articles publiés par Philippe Orfali dans le quotidien Le Devoir :
Québec s’oppose aux minorités francophones (22 janv. 2015)
www.ledevoir.com/societe/education/429628/education-quebec-s-oppose-aux-minorites-francophones
Québec se met à dos les francophones hors-Québec (23 janv. 2015)
www.ledevoir.com/societe/justice/429808/education-quebec-se-met-a-dos-les-minorites-francophones