Marie-Hélène Comeau
Acquérir le vocabulaire mathématique en français par l’utilisation de l’album pour enfants. Voici l’objectif que s’est fixé une enseignante de l’École Émilie-Tremblay en entreprenant une recherche doctorale sur le sujet.
Depuis une vingtaine d’années, un changement marqué est observé dans l’enseignement des mathématiques. Un changement qui devenait urgent puisque les méthodes traditionnelles basées exclusivement sur l’application d’un ensemble de règles et de principes semblent être la source même des difficultés éprouvées par les élèves. L’approche proposée par la recherche d’une enseignante du Yukon vient s’inscrire dans ce nouveau courant de l’enseignement de la numératie.
« Selon moi, l’apprentissage des mathématiques en bas âge doit se réaliser dans un contexte significatif près de l’enfant, car c’est à cet âge que se bâtissent les fondations des futurs apprentissages en numératie. Il est donc primordial que les enseignants du préscolaire soient bien outillés. Mon désir d’entreprendre un doctorat au niveau de la numératie au préscolaire m’est venu afin d’améliorer les pratiques pédagogiques et de favoriser l’apprentissage de cette discipline chez les tout-petits », confie Nathalie Martel, enseignante à l’École Émilie-Tremblay, seule école où on y enseigne le français langue première au Yukon. « Je désire faire la preuve qu’à travers une activité de langage telle que raconter une histoire, il est facile de favoriser l’apprentissage du vocabulaire mathématique, et ce, dès la maternelle. En intégrant la numératie dans les albums pour enfants, ces derniers seront exposés dès un bas âge au langage mathématique de base nécessaire à leur apprentissage académique futur », précise-t-elle.
C’est à partir de l’Institut Freudenthal de l’Université d’Utrecht aux Pays-Bas que l’enseignante franco-yukonnaise a décidé d’entreprendre sa recherche. Un choix qui s’est fait en fonction de sa directrice de recherche, Prof. Dr Marja van den Heuvel-Panhuizen, spécialiste de l’approche REM (Realistic Mathematics Education) et en mathématiques au préscolaire. L’approche REM promeut l’apprentissage des mathématiques dans un contexte significatif près de la réalité de l’apprenant.
Nathalie Martel détient une maîtrise en enseignement des mathématiques de l’Université Simon-Fraser et le titre de Math Recovery Specialist. Elle a découvert ce programme à la suite d’une conférence à laquelle elle a assisté au Colorado une fois sa maîtrise complétée. Dès cet instant, elle voit tout le potentiel d’une telle approche si elle était appliquée en enseignement des mathématiques en contexte minoritaire en français au Yukon.
Le programme Math Recovery est une approche pédagogique dans laquelle l’enseignant spécialiste s’assure de travailler dans la zone proximale de développement de l’élève ayant des difficultés d’apprentissage en mathématiques. Ce programme, créé initialement en Australie, gagne en popularité dans plusieurs pays, sauf pour l’instant au Canada.
« Les enseignants qui participent au programme de Math Recovery sont des spécialistes en mathématiques (Maths Specialists). Aux États-Unis, par exemple, plusieurs écoles offrent des services d’aide aux élèves au niveau de la numératie au même titre que les services en littératie (lecture et écriture), ce qui n’existe pas au Canada », déplore Nathalie.
Toutefois, entreprendre une recherche doctorale à mille lieues de chez soi apporte son lot de défis.
« Comme je tenais à travailler avec Dr Marja van den Heuvel-Panhuizen, je n’ai pas eu le choix d’entreprendre ma recherche avec l’Université d’Utrecht. J’avoue que la distance géographique et culturelle entre les Pays-Bas et le Yukon comporte plusieurs défis », confie-t-elle. « De plus, le doctorat que j’ai entrepris n’est pas conçu pour se faire à distance, on me fait une faveur de pouvoir le faire à partir du Yukon », ajoute Nathalie Martel.
En 2010-2011 et en 2012-2013, l’enseignante a dû toutefois quitter le Yukon pour passer une année à l’Université d’Utrecht afin d’y compléter ses cours. Aujourd’hui, de retour au territoire, elle réussit à jongler avec son horaire de travail chargé en enseignement et sa collecte de données afin de poursuivre sa recherche. Cette collecte des données se fait en français, mais également en espagnol et en anglais, grâce à la collaboration des chercheuses Ann Stafford des États-Unis et Virginia Ferrari du Mexique. « J’aimerais profiter de ma recherche pour également vérifier l’impact au niveau culturel dans l’utilisation des albums dans l’enseignement de la numératie. Il devrait y avoir des données très intéressantes de ce côté », explique Nathalie Martel, déterminée à mettre les bouchées doubles afin d’arriver à terminer sa recherche d’ici deux ans, limite qu’elle s’est initialement fixée pour compléter sa démarche.