Pierre Chauvin
Le chef du Nouveau Parti démocratique (NDP) et de l’opposition officielle, Thomas Mulcair, était de passage à Whitehorse les 11 et 12 mars. Il a notamment rencontré des membres de l’Association franco-yukonnaise (AFY) et a visité le Centre de la francophonie.
En entrevue avec l’Aurore boréale, celui qui siège en face de Stephen Harper à la Chambre des communes, a discuté de plusieurs dossiers chauds du moment : l’aménagement du bassin de la rivière Peel, la poursuite de la commission scolaire, les relations avec les Premières nations ou encore le vote par proportionnelle.
L’Aurore boréale (AB) : De quoi avez-vous discuté avec les représentants de l’AFY?
Thomas Mulcair (TM) : On a parlé de la structure, de l’organisation. Je vous avoue que c’est assez impressionnant comment ils ont réussi à enlever tout dédoublement administratif, donc c’est un partage de ressources. Tout est là pour les services directs et il y a très peu d’administration. Par ailleurs, ils se préoccupent des changements de définition : est-ce qu’Ottawa va faire en sorte qu’il y aura moins d’argent pour les programmes directs? Nous, on sera à la Chambre des communes pour veiller à ce que l’argent continue à être là pour la communauté, parce que c’est très important en terme de notre définition de nous-mêmes : comme pays avec deux peuples fondateurs, deux langues officielles, deux cultures principales à son origine.
Les deux langues officielles demeurent une priorité. C’est multiculturel, on n’a qu’à regarder la nature de l’immigration francophone aujourd’hui pour le constater. Si on ne veille pas activement à l’entretien de cette dualité linguistique là, on va perdre quelque chose de très important dans notre définition de nous-mêmes.
AB : En ce moment, il y a un débat important sur le bassin de la rivière Peel. Le gouvernement a décidé d’ouvrir la plus grande partie du bassin à l’exploitation. Quelle est la position du NPD?
TM : Pris au sens le plus large, nous sommes pour le développement durable, donc ça veut dire ne rien sacrifier pour les générations futures. Le débat sur le Peel est un bon exemple. Si on ouvre complètement au développement, on n’est pas en train de protéger les écosystèmes. Vous n’avez qu’à regarder les exemples qui existent ici et aux Territoires du Nord-Ouest où on est pris avec une facture importante pour nettoyer d’anciens sites miniers.
On peut être indulgent jusqu’à un certain point avec les gens qui ont exploité ces sites-là pour la raison suivante : c’était comme ça qu’on exploitait une mine dans le temps. C’est notre génération qui est prise avec la facture du nettoyage, mais au-delà de ça, personne ne va nous pardonner si on continue à faire les mêmes dégâts et les mêmes erreurs. Je pense qu’il faut être beaucoup plus responsable.
AB : La Commission scolaire francophone du Yukon et le gouvernement du Yukon sont pris dans une poursuite depuis 2009. La CSFY veut aller en Cour suprême. Qu’en pensez-vous?
TM : Je trouve toujours ça regrettable lorsqu’on est obligé d’aller se battre devant les tribunaux sur ces questions-là. Mais parfois, en dernier recours, c’est ça que ça prend si les droits ne sont pas respectés.
Avec un gouvernement qui serait proactif dans ces domaines-là, on aurait peut-être moins besoin de recourir aux tribunaux que ce n’est le cas actuellement.
AB : Il y a de plus en plus de Premières nations qui vont en cour contre le gouvernement. Qu’est-ce qui devrait être fait ?
TM : Nous, au NPD, on croit fermement à la création d’une relation de nation à nation avec les peuples autochtones. On croit sincèrement que c’est la meilleure manière de résoudre les problèmes. Un peu à l’instar de ce qu’on disait tout à l’heure au sujet des droits linguistiques.
Si on ne respecte pas les droits linguistiques, les gens vont être obligés d’avoir recours à la seule place qui va les protéger qui sont les tribunaux.
Nous, au lieu de constamment recommencer cette bataille-là devant les tribunaux, nous, on propose de prendre le taureau par les cornes et de créer au niveau du conseil des ministres un comité qui serait chargé de regarder toutes les décisions du gouvernement pour s’assurer qu’elles respectent les droits des Premières nations au terme des traités, des droits innés et aussi les obligations internationales du Canada.
En agissant en amont, il y aurait moins de problèmes en aval.
AB : Ce soir, que vous allez donner une conférence avec Kevin Page (directeur parlementaire du budget).
TM : C’était une personne excessivement respectée et souvent en prise de bec avec les conservateurs qui l’attaquaient, qui disaient que ses chiffres ne tenaient pas, mais malheureusement pour les conservateurs, chaque fois qu’il y avait une dispute avec Page, il avait raison. Il a fini par terminer son mandat et ils l’ont remplacé par quelqu’un de plus malléable, qui fait tout à fait leur affaire et qui ne nous aide pas beaucoup comme parlementaire.
Mais c’est exactement le genre de personne que les conservateurs allaient mettre. Kevin est un gars qui se tenait debout. Il regardait la proposition d’augmenter l’âge de la retraite de 65 à 67 ans, les conservateurs disaient qu’il fallait faire ça parce que ce n’était pas soutenable, pas durable comme ça.
Le fait est que c’est un mensonge éhonté de la part des conservateurs et Page l’a prouvé.
Mais c’est une question philosophique, c’est une vue de l’esprit des conservateurs. C’est une vue bigarrée qui est imposée par une logique inventée au terme d’une analyse d’extrême droite, largement inspirée par les auteurs américains. Ça ne tient pas la route dans la vraie vie, mais c’est en train de faire du mal à du vrai monde.
AB : De quoi allez-vous parler ce soir?
TM : Je vais surtout parler de la démocratie, de nos institutions démocratiques. Je vais parler de l’abolition du Sénat, de la tentative de Stephen Harper de voler les prochaines élections, d’avoir beaucoup plus recours au vote proportionnel comme en Europe, un système de listes, car ici c’est tout ou rien.
Stephen Harper a reçu 38 % des votes et seulement 60 % des Canadiens ont voté. Stephen Harper règne en roi et maître avec un gouvernement absolument majoritaire avec 22 % des Canadiens qui ont voté pour lui. C’est un système qui ne marche pas, il faut le changer, et c’est facile à changer.
AB : Mais en général, le parti qui est au pouvoir ne souhaite pas changer le système électoral…
TM : En général, une fois qu’ils ont été au pouvoir, ils ont été élus avec ce système-là. Moi, je dois me faire élire avec ce système-là, je n’ai pas le choix, c’est après que je peux le changer.