Le 17 mai dernier avait lieu à Carcross l’inauguration du nouveau village de commerces de détail « Carcross Commons ». Lancé à l’initiative de la Carcross Tagish Management Corporation (CTMC) – le bras économique de la Première nation Carcross/Tagish –, le projet constitue la première étape d’une stratégie économique et touristique globale visant à redynamiser la municipalité. Souvent pointée du doigt pour son taux de chômage élevé et sa réputation de communauté à problèmes, Carcross bénéficie en effet d’un fort potentiel touristique qu’elle souhaite dorénavant mettre à profit pour pouvoir à son tour emprunter le chemin de la croissance.
Thibaut Rondel
Au magasin général Matthew Watson, l’un des rares commerces du village, les affaires fluctuent en fonction des arrivages de cars de touristes en transit à Carcross. Exploités par les organisateurs de voyages Holland America ou bien encore Gray Line, ceux-ci libèrent chaque semaine des milliers de touristes au centre-ville de la petite communauté.
« C’est un peu le zoo quand les bus arrivent », lance Montana Prysnuk derrière sa machine à glaces. « Nous sommes très occupés, mais dès que les touristes repartent, tout redevient très calme. C’est comme ça tous les étés, les gens ne s’arrêtent pas ici plus d’une heure avant de remonter dans leur bus et de reprendre la route. »
Selon la jeune femme, le nouvel ensemble commercial développé de l’autre côté de la place ne permettra peut-être pas de retenir plus longtemps les voyageurs de groupe, mais peut-être plus les touristes voyageant dans leurs propres véhicules.
« Je pense qu’ils resteront un peu plus longtemps, grâce au nouveau café [NDLR Caribou Crossing Coffee, ouvert par les propriétaires du café Baked de Whitehorse] et à la pizzeria qui va prochainement ouvrir », explique-t-elle. « Je pense que c’est donc une bonne chose pour nous aussi. »
Plus de commerces et plus d’emplois
La fille du propriétaire de l’endroit, Aimee O’Connor, 20 ans, partage l’opinion de sa collègue.
« Je crois que la plupart des gens de Carcross sont contents de ce projet. Pour ceux qui ont vécu ici toute leur vie, cela veut dire plus de gens en ville, et c’est excitant », explique-t-elle. « Plus de développement signifie également plus de commerces en ville, et donc plus d’emplois pour les gens. Travailler peut permettre à certaines personnes de se sortir de leurs problèmes et de gagner un salaire régulier. »
Bien que la jeune femme regrette que dans le cadre du projet, la bande autochtone « ait pris ses distances » vis-à-vis des propriétaires indépendants exploitant les rares commerces de la communauté, elle garde bon espoir de voir les jeunes gens du village briguer les emplois qui seront créés par les nouveaux exploitants, tous étrangers à Carcross.
« Je ne pense pas que ce soit une bonne chose [que les exploitants ne soient pas issus de la communauté], mais ce serait bien si les gens de la communauté pouvaient être embauchés dans ces nouveaux commerces », confie-t-elle. « Les locataires ont une expertise que n’ont peut-être pas les gens de la communauté, qui n’ont pas forcément eu l’occasion de travailler dans ces domaines. »
Une logique économique décriée
Quelques dizaines de mètres plus loin, sur l’avenue Bennett, M.G a installé son comptoir à bijoux, un peu à l’écart des foules de touristes. Résidente de Tagish depuis sept ans, la jeune femme d’origine mexicaine émet pour sa part un bémol au projet commercial. L’approche économique aurait selon elle été privilégiée aux considérations culturelles.
« Je n’aime pas ces nouveaux bâtiments. Les touristes arrivent dans la communauté, espérant découvrir la culture Tlingit, et les premières choses qu’ils voient sont ces façades représentant les symboles des clans », affirme-t-elle. « Pour eux, cela représente la culture autochtone locale. Personnellement, quand je voyage, j’espère découvrir la vraie culture. Les personnes qui étaient responsables du développement de ce projet ne pensaient pas vraiment mettre la culture en avant. »
Au-delà des considérations purement esthétiques, M.G regrette également que les exploitants ne soient pas originaires du village.
« Je crois que les gens de Carcross ont perdu tout espoir de lancer tout commerce ou d’exposer leur propre culture », dit-elle. « L’idée est de faire de l’argent, de le faire circuler, et je n’ai aucune idée de qui va bénéficier financièrement de cela. »
En lieu et place du nouveau village commercial, M.G aurait plutôt vu la création d’événements culturels, plus utiles selon elle que des boutiques similaires à celles que l’on peut trouver à Skagway.
« Il y a bien des choses à faire ici, comme du vélo de montagne, mais les gens d’ici créent aussi des choses réellement artistiques, des bijoux, des sculptures… les Premières nations devraient s’impliquer plus, organiser des festivals de contes par exemple, ou montrer leurs traditions ancestrales au public. »