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le Mercredi 23 janvier 2013 21:23 Scène locale

Le mouvement Idle No More gagne en puissance

"Ensemble aujourd'hui, pour nos enfants demain", pouvait-on lire sur la banderole de tête de manifestation arborée lors du défilé Idle No More. Le 11 janvier à Whitehorse, les Premières nations du Yukon ont fait fi des générations et des clivages internes pour protester ensemble contre la loi C-45 du gouvernement Harper.

Thibaut Rondel

« Harper is not a leader, but a dictator. » (« Harper n’est pas un meneur, mais un dictateur. ») « Let’s take back Canada from Harper » (« Reprenons le Canada des mains de Harper »). Vendredi 11 janvier, 12 h, sur la 2e Avenue de Whitehorse. La teneur des messages exhibés dans les rues de la capitale par un imposant cortège de manifestants donne sans équivoque le ton de la contestation. Dans le cadre du mouvement national Idle No More, près de 200 personnes appartenant principalement aux Premières nations s’étaient donné rendez-vous devant les bureaux du député Leef, avec la ferme intention de communiquer leur mécontentement.

L’objet du délit? L’adoption récente par le gouvernement Harper de la loi omnibus C-45, dite loi no 2, portant exécution de certaines dispositions du budget […] et mettant en œuvre d’autres mesures. Cette loi « mammouth », texte fourre-tout s’étalant sur près de 400 pages, modifie la législation contenue dans 64 lois ou réglementations fédérales, et notamment celle sur les Indiens et sur la protection des eaux navigables. Selon les quatre fondatrices du mouvement Idle No More (que l’on peut traduire par « Plus jamais l’inaction »), les changements apportés ont fait l’objet d’aucune consultation auprès des Autochtones.

Une loi brade les terres ancestrales

Fin octobre, Jessica Gordon, Sheelah McLean, Sylvia McAdams et Nina Wilsonfeld, originaires de Saskatchewan, portent un regard attentif sur la loi C-45 que le gouvernement vient juste de déposer à Ottawa. Les quatre femmes constatent rapidement que la nouvelle législation porte atteinte aux droits des Autochtones. Les traités territoriaux seraient selon elles menacés, puisque la Loi sur les Indiens a effectivement été modifiée de façon à faciliter l’exploitation des territoires ancestraux des Premières nations par les entreprises privées.

Sur ce point, le gouvernement pourrait passer outre une décision du Conseil de bande, si celle-ci va à l’encontre d’un vote public des membres de la communauté. Jusque là, rien d’alarmant, sauf qu’une majorité d’électeurs éligibles ne sera plus nécessaire pour déterminer l’issue du vote, comme c’était le cas auparavant. Le vote d’une seule personne présente à la réunion suffirait donc à livrer les terres ancestrales de sa communauté aux sociétés privées.

Au chapitre de la Loi sur la Protection des eaux navigables, la loi C-45 fait également polémique. Sous la nouvelle législation, les promoteurs de projets de pipelines (oléoducs) ou de lignes électriques ne seront plus tenus de prouver que leur projet n’endommagera ou ne détruira pas les voies navigables qu’il traverse. Seule exception à la règle, les eaux inscrites sur une liste préparée par le ministère des Transports.

Idle No More soutient que cette modification supprime la protection de 99,9 % des lacs et rivières du pays. Le gouvernement, pour sa part, affirme que ces différents changements permettront aux communautés éloignées des grands centres urbains de se développer plus efficacement.

Une contestation grandissante

Au-delà de l’aspect purement législatif, le mouvement Idle No More révèle un malaise bien plus profond au sein de la population autochtone. Le manque de consultation et le sentiment de vivre dans un état de dépendance vis-à-vis de l’État canadien ont sans nul doute joué un rôle majeur dans la montée du mouvement de contestation. À l’heure actuelle, plus de 80 000 personnes font déjà partie du réseau Facebook d’Idle No More, et ce nombre grandit chaque jour. Lancé le 10 novembre dernier par les quatre fondatrices, la page avait pour but initial d’annoncer la toute première réunion publique d’information sur la Loi C-45. Un mois plus tard, jour pour jour, Idle No More tenait sa première journée nationale d’action, relayée dans de nombreuses villes au pays et à l’étranger. C’est cette même journée que la chef de la Première nation nord-ontarienne Attawapiskat, Theresa Spence, a choisi d’entamer une grève de la faim pour soutenir le mouvement et porter l’attention sur sa communauté, où un état d’urgence a été déclaré fin 2011.

Harper sort de sa bulle

Après plusieurs semaines d’attentisme, le premier ministre Harper a finalement accepté de recevoir une délégation de chefs autochtones, vendredi 11 janvier, pour tenter de désamorcer le conflit. La réunion se voulait une première tentative de dialogue avec le gouvernement. Au final, la rencontre n’a, semble-t-il, rien réglé. Plusieurs chefs autochtones l’ont en effet boycottée, tout comme la chef Theresa Spence qui réclamait la participation à la réunion du gouverneur général David Johnston. Selon elle, le représentant de la Couronne britannique, signataire des traités ancestraux, serait la seule personne à même de pouvoir négocier avec les Autochtones. Bien qu’il n’ait officiellement pas d’autorité constitutionnelle, les chefs lui attribuent toutefois une responsabilité morale et le devoir de participer à ce type de rencontres. Sans surprise, la reine Elizabeth II a bien évidemment fait savoir qu’elle n’interviendrait pas dans cette situation. Une rencontre plus symbolique que productive a cependant été organisée à la résidence de M. Johnston après celle tenue avec Stephen Harper. Le porte-parole de Mme Spence a qualifié l’événement de « […] spectacle, [d’] une opportunité pour prendre des photos. » La réunion entre le premier ministre et les chefs autochtones s’est quant à elle terminée sur « la promesse de se revoir » dans les prochaines semaines. Le gouvernement aurait accepté de porter le dialogue au plus haut niveau. La réponse n’a pas convaincu les dizaines de milliers de manifestants qui avaient pris la rue ce jour-là, et continuent de bloquer ponts, routes et voies ferrées.