Iris S. Tremblay
Il faisait très noir à l’intérieur du loup. À l’odeur, il était aussi pourri, avec quelques vers grouillants par-ci par-là. Retenant son souffle, Yolande-Navia tenta de se faire toute petite, repliant ses jupons et les ramenant vers sa poitrine. Le bruit de pas approchait. Yolande entendait le claquement de semelles particulier des grosses bottes noires des gardiens de nuit. Elle s’imaginait deux grands gaillards de deux mètres de haut, tout en muscles et habillés de noir, le crâne rasé et des yeux durs, débordants de méchanceté.
Serrant son petit sac à dos jaune tout contre elle, Yolande-Navia se recula aussi profondément que possible dans le loup. Des voix se firent soudain entendre.
– Alors, Gérard, que fais-tu à soir?
– Je n’en ai aucune idée, mon vieux, mais j’crois que je vais aller au Poisson Crevé, tu sais, le petit bar à côté du Lumineux, cet hôtel pour riches. Y font la meilleure bière aux canneberges que j’ai jamais bue.
– J’ai ben envie d’une bonne bière aux canneberges.
– Bien sûr, Patrick, viens avec moi! Et si on y allait tout de suite? La nuit est calme, j’ai pas ben ben l’impression qu’on va se faire voler, et pis j’en ai marre de surveiller ce musée de malheur toute la nuit.
– T’as ben raison. Let’s go, je barre le musée pis on se casse.
Yolande-Navia entendit les bruits de pas s’éloigner, puis une porte s’ouvrir et se refermer. Enfin, elle entendit le bruit de ferraille d’une clé tournant dans la serrure, et le silence. Il était temps!
Yolande-Navia s’extirpa de peine et de misère du loup, secouant sa robe verte, laissant tomber des vers et quelques touffes de fourrure. Elle s’en souviendrait, de ce loup empaillé du Yukon qui, selon l’étiquette, comptait 57 000 ans. Elle regarda tout autour d’elle, espérant apercevoir quelque chose dans le voile de nuit qui était tombé sur la ville, quelques heures plus tôt. D’après ses estimations, il était autour de minuit. La seule source de lumière qu’il y avait dans le musée était la lune, ses rayons passant à travers les larges fenêtres de son hall d’entrée.
Le musée rayonnait d’une aura bizarre. Les ténèbres? Peut-être parce que rien ne bougeait dans le musée? Elle sentait une certaine oppression sur sa nuque, comme si quelqu’un la regardait de derrière. Elle secoua tout de suite la tête après cette pensée. Non. C’était idiot, voyons. Il n’y avait personne d’autre qu’elle dans le musée. Il fallait vraiment qu’elle arrête d’écouter les histoires de fantômes de cette peste de Bernadette.
Yolande-Navia se trouvait dans la section des animaux empaillés. Cette section était belle, avec tous ses animaux figés pour l’éternité. Mais elle n’avait pas le temps de les admirer. Elle était là dans un but précis, celui de dé-momifier une momie.
Yolande-Navia voulait devenir archéologue. Ces temps-ci, elle était fascinée par les momies, ces restes de personnes ayant vécu des siècles avant elle. Malheureusement, les technologies connues en cette année 1970 ne permettaient pas de savoir ce qui se cachait sous les bandelettes, et dé-momifier un corps risquait de le réduire en poussière.
Yolande-Navia voulait plus que tout voir ce qui se cachait sous une momie. Voilà pourquoi elle était sortie par la fenêtre de sa chambre, ce soir-là.
Elle sortit de son sac sa bouteille d’eau, but une grande gorgée et épousseta sa robe. Si elle se souvenait bien, la section des momies était à la gauche des objets égyptiens, donc à la droite des animaux empaillés. Elle traversa en hâte le couloir, avec cette étrange impression d’être observée encore collée sur sa nuque.
Yolande-Navia entra avec soulagement dans la section des momies, mais le malaise empira. La pression dans cette pièce était palpable, Yolande-Navia avait l’impression de marcher dans la mélasse. La poitrine de plus en plus serrée, elle tenta de se ressaisir. Elle allait découvrir ce qui se cachait dans une momie! Pressée de rentrer chez elle, elle se précipita sur la première momie qu’elle vit. Son étiquette racontait que la momie s’appelait Toutankhamon et que c’était, autrefois, un roi égyptien.
Sa peau encore frissonnante de la sensation désagréable qu’elle ressentait, elle entreprit d’ouvrir le sarcophage. Il était plus lourd que prévu, et cela lui prit une bonne dizaine de minutes pour réussir à le tasser. Une fois fait, il ne lui restait plus qu’à dérouler les bandelettes. Elle prit précautionneusement le corps, qui était grand et mince, et commença à dérouler les bandelettes, une à une. Cela allait être une grande découverte, elle allait être reconnue par tous les scientifiques du pays! Malgré son excitation, Yolande-Navia se sentait encore étrangement mal.
Il ne lui restait plus qu’une bandelette, qu’elle déroula, ralentie par son étrange mal qui empirait de seconde en seconde. Avec appréhension, elle enleva la dernière bandelette et une chose la surprit, si horrible que son cri se bloqua dans sa gorge. Elle essaya de fuir, concentrant toutes ses forces, mais c’était trop tard. Elle se sentit tomber, puis tout devint noir.
La Gazette de Londres
Scandale au British Museum!
Aujourd’hui, nos journalistes rapportent un grand crime commis au British Museum, hier soir. Une petite fille de 11 ans, répondant au nom de Yolande-Navia Bernard, aurait été assassinée dans le musée, dans la section des momies. La petite fille a été retrouvée raide morte, les yeux grands ouverts, gisant près du tombeau de la célèbre momie Toutankhamon.
Toutefois, aucune trace de blessure n’a été trouvée sur la jeune fille. Après une autopsie, les médecins rapportent n’avoir rien trouvé sur le corps de Yolande-Navia. Tout semblait en bon état, à part son cœur qui avait arrêté de battre. Gérard Martin et Patrick Roy, les deux gardiens de nuit qui patrouillaient à ce moment-là, racontent n’avoir rien vu ni entendu de suspect. Il reste encore à savoir pourquoi et comment cette petite fille était dans le musée à une heure si tardive. Nos journalistes sont sur la piste de potentiels meurtriers. Pour en savoir plus sur la pauvre petite Yolande-Navia et son horrible histoire, veuillez vous rendre à la page 7.
Ce texte a été écrit par Iris S. Tremblay, élève de 8e année au CSSC Mercier, dans le cadre d’un concours de nouvelles à l’occasion d’Halloween.