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le Jeudi 11 novembre 2021 5:38 Divers

Consommation des abats animaux : une voie pour lutter contre le gaspillage alimentaire?

Les petits pots de pâté de tête de porc de la ferme Circle D Ranch. Photo : Sophie André
Les petits pots de pâté de tête de porc de la ferme Circle D Ranch. Photo : Sophie André

Peu coûteux, nourrissants et locaux, les abats font leur retour à la ferme et dans certaines boucheries.

Les petits pots de pâté de tête de porc de la ferme Circle D Ranch. Photo : Sophie André

 

Les protéines animales de notre alimentation font débat dans le contexte du dérèglement climatique.Les élevages intensifs, par opposition aux élevages en pâturage, sont souvent pointés du doigt, notamment à cause de leur consommation élevée en ressources, nécessaire à la production. Les besoins élevés en eau, l’utilisation d’engrais chimiques, la déforestation et les émissions de méthane, puissant gaz à effet de serre, font partie des arguments au sein du débat concernant la place de l’élevage dans le monde.

Si les choix de consommation de viande sont multiples et variés (allant notamment de la consommation uniquement de viande locale jusqu’à la non-consommation de produits animaux), la question des abats est moins mise en lumière. Certaines entreprises tentent pourtant de promouvoir l’utilisation de ces produits moins populaires.

 

La viande, une tradition dans le Nord

Au Yukon, les hivers sont rudes, le besoin énergétique y est élevé pour combattre le froid et les protéines végétales produites naturellement et localement se font rares en cette saison, selon Graham Rudge, boucher chez Tum Tum’s Black Gilt Meats, une boucherie familiale qu’il cogère avec ses parents. S’il rappelle que traditionnellement la viande a toujours été au cœur des habitudes alimentaires du Yukon, il souligne également que les Premières Nations ont pour coutume d’utiliser chaque partie de l’animal chassé et abattu.

Le boucher souligne le gaspillage qui découle des nouvelles habitudes de consommation. Selon lui, les morceaux dits « nobles » tels que les côtes, le rumsteck ou encore le faux-filet se taillent la part du lion dans les ventes, tandis que les parties plus musclées comme les flancs ou les jarrets – qui demandent une cuisson plus lente – sont moins demandées. « Les abats [quant à eux] ont presque disparu de la demande », partage, un autre boucher rencontré à la ferme Circle D Ranch qui élève des animaux en pâturage, non loin de Whitehorse.

 

Les abats, grands oubliés de la consommation

Les abats – tête, oreille, cervelle, foie, rate, cœur, poumon, estomacs, ris, pancréas, pied, queue, pour n’en citer que certains – sont toutefois des denrées consommables et mériteraient de retrouver leur place dans les assiettes des personnes qui consomment de la viande, selon les deux bouchers.

D’un point de vue diététique, une étude publiée en 2015 par l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) leur donne raison, et explique que la plupart des abats ont une valeur nutritionnelle comparable aux morceaux de viande classiques, sont souvent moins gras et sont pour certains très riches en fer – le foie principalement – et en vitamines. La FAO, l’agence spécialisée des Nations unies qui mène des efforts internationaux vers l’élimination de la faim, a également présenté un autre avantage de la consommation des abats : la réduction du gaspillage alimentaire.

Selon une autre des études qu’elle a présentées, la viande ne représente qu’un tiers du poids de l’animal, dont la moitié seulement est composée de pièces « nobles ». La peau, les os, le sang, les abats et les intestins constituent les deux tiers restants et sont rarement utilisés pour la consommation humaine. Valoriser chaque partie de l’animal est dès lors considéré comme un moyen de maximiser les ressources utilisées pour la production, de réduire l’impact environnemental de la production, tout en nourrissant davantage d’individus.

 

Miser sur le goût

Mais le principal avantage reste « bien évidemment le goût », explique Graham Rudge. Dans sa boucherie, les organes sont présents tels quels sur l’étalage, mais également sous des formes transformées.

« La graisse du bœuf nourri en pâturage va être d’un orange foncé, pleine de saveurs, et saine avec des minéraux et vitamines. Dans certaines de nos saucisses, on ajoute du foie; dans la viande hachée, des reins – ça donne une richesse à la viande. C’est délicieux! »

Cette famille d’artisans dirige également un abattoir mobile. Pour eux, la sensibilisation commence chez les éleveur.se.s. « Lorsqu’on découpe une bête à la ferme, on encourage toujours les producteurs à garder les organes. Et de plus en plus le font », affirme le jeune boucher.

 

« Du museau à la queue, tout est bon dans le cochon! »

Des entreprises agricoles tentent de remettre cet adage au goût du jour, au Yukon. C’est le cas de Barbara et Bill Drury, couple fermier depuis plus de 40 ans, propriétaire de la ferme Circle D Ranch. Pour eux, consommer du « museau à la queue », c’est une question de principe.

« Quand on prend la vie d’un animal, on lui doit le respect et un moyen d’y parvenir est d’utiliser chacune des parties qu’il a à nous offrir », partage Barbara Drury.

En ce début d’automne, le couple doit abattre leurs cinq cochons et la moitié de leurs 30 vaches Angus qui se baladent tranquillement sur plus de 300 acres au nord de Whitehorse.

Lorsque l’abattoir mobile arrive à la ferme pour mener l’opération, Bill Drury se livre : « Si ces gens n’existaient pas, je ne ferais pas ce métier. Une fois, j’ai dû transporter mes vaches dans un abattoir industriel. Plus jamais. Les animaux sont laissés sans nourriture pendant 24 heures pour vider leurs estomacs (…). Ils sont agités, stressés. »

Cette année Bill et Barbara Drury garderont les tripes, les têtes et les abats rouges en plus des os pour créer de savoureuses et intrigantes recettes.

Nettoyés dans l’eau de leur ruisseau, les estomacs de leurs vaches mijoteront près d’une journée avec les carottes et le persil du jardin pour cuisiner la fameuse recette de l’ouest de la France, les tripes à la mode de Caen. Quant aux têtes, « elles seront cuites à feu doux, coupées en morceaux et mises en bocaux pour faire du pâté avec une goutte (ou deux) de whisky! » prévoit la propriétaire.

Vous pouvez retrouver la recette du bouillon d’os de Barbara Drury sur le site Internet de Circle D Ranch. La boucherie Tum Tum’s Black Gilt Meat est située sur la route Takhini River au nord de Whitehorse.

 

IJL – Réseau.Presse L’Aurore boréale