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le Mercredi 2 juin 2021 21:37 Divers

Océan Arctique : la contamination au mercure a doublé en dix ans

En analysant les différentes strates des longues défenses du narval, on peut mesurer les différentes quantités de mercure auxquels sont exposés les mammifères marins au fil des ans. Photo :  Rune Dietz, Aarhus University
En analysant les différentes strates des longues défenses du narval, on peut mesurer les différentes quantités de mercure auxquels sont exposés les mammifères marins au fil des ans. Photo : Rune Dietz, Aarhus University

L’étude des défenses de narval permet de mesurer la présence de mercure qui contamine la chaine alimentaire arctique.

Une étude révèle que les narvals sont exposés à des niveaux de plus en plus élevés de mercure. Photo : Rune Dietz, Aarhus University

 

Les niveaux de mercure présents dans les défenses de narval augmentent : c’est ce que révèlent les résultats d’une étude publiée dans la revue académique Current Biology.

Dirigée par l’Université McGill en partenariat avec l’Institut des ressources naturelles du Groenland basé à Nuuk, cette étude montre que l’exposition à la pollution au mercure a changé au cours des 50 dernières années.

Pour en arriver à ce résultat, dix défenses de narvals mâles ont été collectées auprès de chasseurs groenlandais de deux collectivités de la côte nord-ouest de l’ile, dont le village de Qaanaaq. Les spécimens recueillis étaient d’âge variable au moment de leur capture.

L’analyse des défenses a permis une évaluation poussée de l’exposition aux contaminants présents dans l’océan. Une nouvelle couche s’ajoute chaque année à la défense du narval, reliée au reste du corps par la mâchoire supérieure et alimentée par le flux sanguin, qui emmagasine ainsi les caractéristiques physiologiques de l’animal.

« En raison de la nature de la défense et de sa croissance progressive au fil du temps, nous avons pu remonter 50 ans en arrière et reconstituer l’histoire de l’animal en termes d’accumulation de mercure », explique Jean-Pierre Desforges, coauteur de l’étude et boursier postdoctoral à l’Université McGill à Montréal.

L’exposition au mercure de ces mammifères augmente avec le temps, mais elle a plus que doublé lors de la dernière décennie. Les narvals se trouvent donc au sommet de la chaine alimentaire qui est contaminée par la présence accrue de mercure dans l’océan. « Plus le niveau de mercure est élevé dans la chaine alimentaire, plus l’animal est exposé », indique M. Desforges.

Causes multiples

L’une des causes de cette hausse des taux de mercure mesurés serait l’extraction d’or artisanale et à petite échelle, notamment dans les pays d’Asie du Sud. La combustion au charbon est aussi pointée du doigt dans les résultats de l’étude.

Rejeté en partie dans l’eau, le mercure capturé par les courants se retrouve dans l’océan Arctique où il contamine l’ensemble de la chaine alimentaire. Si le chercheur estime que l’augmentation des températures qui accélère la fonte de la glace est aussi en cause, le problème demeure complexe, car il est multifactoriel. « C’est une sorte d’interaction complexe entre l’alimentation et les émissions humaines, ce n’est pas simple, explique Jean-Pierre Desforges. Mais nos études et d’autres montrent que le changement climatique en Arctique a un impact majeur sur les animaux, notamment une modification de leur alimentation. »

Une convention pour inverser la tendance

Signée en 2013 sous l’égide du Programme des Nations Unies pour l’environnement, la Convention de Minamata sur le mercure est un traité international conçu pour protéger la santé humaine et l’environnement contre les émissions d’origine humaine et les rejets de mercure. Trois ans de négociations auront été nécessaires afin d’aboutir à un texte signé aujourd’hui par 128 gouvernements sur les cinq continents. Pour M. Desforges, la convention apporte un cadre contraignant qui permet à chaque pays signataire d’identifier les sources de pollution sur son territoire.

« Il y a eu des histoires encourageantes dans le passé et nous avons de l’espoir, mais il est toujours difficile d’équilibrer le développement économique avec la protection de l’environnement », réagit le chercheur.

Conscient des niveaux de pollution élevés en Arctique, le Canada a ratifié la convention le 7 avril 2017. « Bien que nous ayons réduit nos propres émissions de mercure de plus de 90 % au cours des 40 dernières années, il faut renforcer les mesures de réduction des émissions mondiales qui ont eu un effet sur le Canada et ses écosystèmes arctiques, peut-on lire dans le communiqué de presse d’Environnement et Changement climatique Canada. Plus de 95 % des dépôts de mercure anthropiques au Canada proviennent de sources étrangères. »

L’article 21 de la Convention impose aux États le dépôt, tous les quatre ans, d’un rapport sur les mesures mises en place et les difficultés éventuelles. À ce jour, 25 % des pays du continent africain ont rendu leur rapport, suivi par la région Asie-Pacifique avec 20 % des pays signataires. Dans son rapport préliminaire, le Vietnam indique manquer de moyens financiers et de techniques pour mettre en place des méthodes d’élimination des composés de mercure. Le problème touche également l’Indonésie, qui indique que l’absence d’installations pour l’élimination finale des déchets de mercure constitue un défi à relever pour les années à venir.

Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des territoires : les journaux L’Aquilon, l’Aurore boréale, et Le Nunavoix ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.