En mars dernier, l’annonce du décès de David Schindler, à 80 ans, a provoqué une vague d’émotion au sein de la communauté scientifique canadienne. Les hommages destinés à l’ardent défenseur des écosystèmes aquatiques soulignaient tour à tour le parcours exceptionnel du limnologiste de renom.
David Schindler était loin d’incarner le stéréotype du scientifique introverti et replié sur lui-même. Depuis quelques semaines, les témoignages de ses collègues brossent plutôt le portrait d’un écologiste ne trainant pas sa langue dans sa poche, surtout lorsqu’il était question de partager les résultats de ses nombreuses recherches.
Canado-Américain et professeur d’écologie au Département des sciences biologiques de l’Université de l’Alberta, David Schindler était un véritable pionnier de la recherche sur les eaux douces. Il a cumulé plus de 60 ans d’études sur les pluies acides, les phosphates et, plus largement, sur l’impact de l’activité humaine sur les écosystèmes aquatiques. « C’était un géant, par son dévouement infatigable envers la conservation des eaux douces et par l’incroyable impact de ses recherches », affirme Karen Kidd, une de ses élèves au doctorat, désormais biologiste et responsable d’une chaire de recherche à l’Université du Nouveau-Brunswick.
Le Nord en filigrane
Selon Fiona Schmiegelow, directrice du programme Northern Environmental and Conservation Sciences à l’Université du Yukon, les observations du scientifique dans l’Étude sur les bassins des rivières du Nord entre les Territoires du Nord-Ouest et l’Alberta ne seront pas reléguées aux oubliettes de sitôt : « Son travail a permis d’étudier les effets cumulatifs le long de ces systèmes aquatiques à un niveau beaucoup plus grand. Il a réuni scientifiques, Autochtones, personnes des industries et représentants des gouvernements autour d’une même table afin d’entreprendre des conversations sur ces enjeux, desquelles ont découlé des recommandations qui ont grandement influencé la façon de gérer ces réseaux hydrographiques. »
Au fil de sa carrière, l’homme, d’ailleurs passionné de traineaux à chien, a multiplié les occasions de visiter les territoires nordiques afin d’y superviser des expériences ou d’y donner des conférences. « Le docteur Schindler est au cœur d’une partie importante de l’histoire des sciences et des politiques de l’eau aux Territoires du Nord-Ouest (TNO). […] Il a appuyé l’élaboration de la stratégie de l’eau aux TNO et a été conseillé lors de l’élaboration d’accords bilatéraux de gestion de l’eau avec d’autres juridictions du bassin versant du Mackenzie », a tenu à souligner le ministre de l’Environnement et des Ressources naturelles des TNO, Shane Thompson, à l’Assemblée législative territoriale.
C’est aussi grâce au précieux mentorat du professeur que Karen Kidd a pu réaliser une recherche sur le lac Laberge, au Yukon, mettant de l’avant la haute concentration de toxaphène, un agent chimique, dans les poissons du lac. Dans un communiqué du 10 mars dernier, le député de Frame Lake, Kevin O’Reilly, a quant à lui relevé le caractère révolutionnaire de la recherche du limnologiste — spécialiste des eaux continentales — qui a « contribué à une meilleure compréhension des systèmes aquatiques ».
Et pour cause. En 1968, David Schindler a créé et dirigé la Région des lacs expérimentaux, un projet visant à conduire des expériences à long terme sur de larges étendues d’eau. Il a ainsi pu prouver les impacts néfastes des détergents à lessive à base de phosphate dans les eaux douces du Canada en séparant un lac en deux et en y introduisant l’agent chimique dans une des deux parties. Le contraste est flagrant sur les clichés de l’expérimentation, publiés dans la prestigieuse revue Science. Les résultats ont trouvé des échos jusqu’aux bureaux législatifs et le gouvernement du Canada a éventuellement stipulé l’interdiction d’usage des détergents à lessive à haute teneur en phosphate.
Naviguer à travers la politique
« Il était dévoué à 100 % à mettre la science au service des enjeux urgents de politiques et de règlementations, et cela a commencé avec ses projets à la Région des lacs expérimentaux », ajoute Fiona Schmiegelow de l’Université du Yukon. Cette dernière profite des célébrations entourant le 30e anniversaire du traité canado-américain sur les pluies acides, signé le 13 mars 1991, pour rappeler l’importance du leadeurship de son collègue : « Le travail de David Schindler sur les pluies acides a représenté un point tournant ayant permis la création et la signature de ce traité. »
Les plus récentes contributions à la science de l’écologiste originaire du Minnesota ont démontré que la pollution de la rivière Athabasca et ses affluents résulte principalement de l’exploitation des sables bitumineux en Alberta. « Il avait cette manière de prêcher par l’exemple. Il travaillait si fort et n’abandonnait jamais. C’était vraiment un modèle, parce qu’il était là à essayer de sensibiliser et de convaincre les dirigeants à adapter leurs politiques et les lois pour protéger l’environnement », ajoute fièrement Karen Kidd.
Dresser la liste de tous ses prix et mentions relèverait d’un travail de moine. Mais hormis ses quelque 30 honneurs et 13 diplômes académiques et honorifiques attribués par des universités des quatre coins du monde, c’est aussi son caractère « terre-à-terre » qui aura marqué Fiona Schmiegelow.
« Il incarnait la parfaite combinaison entre un grand penseur et un excellent scientifique et quelqu’un de drôle qui adore raconter des histoires », souligne pour sa part Karen Kidd. Pour ces deux collègues, la carrière de David Schindler aura laissé une trace indélébile au sein de la communauté scientifique, qui continuera à faire des vagues et à mener à des changements.
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