– Francopresse
Le rapport faisant état d’un climat de travail toxique à Rideau Hall a créé une onde de choc à travers le pays. Pourtant, les histoires de climats toxiques dans les milieux de travail sont nombreuses, tant dans le secteur public que privé. Elles ne sont pas réservées à un milieu, à un genre ou à une profession. En tant que femme noire, j’en ai moi-même vu et subi de toutes les couleurs au fil des années. Ce que j’ai vu et vécu n’est ni un conte de fées ni de l’exagération.
Le climat toxique peut prendre plusieurs formes : patrons abusifs, intimidation entre collègues, propos inappropriés. Tout cela peut causer de l’anxiété et mener à la dépression.
Mais pour nous, les personnes racialisées, un climat toxique se concrétise par des abus de pouvoir conséquents à notre identité. Les microagressions à l’égard des personnes racialisées, quand elles s’accumulent, atteignent la dignité et le bienêtre de la personne.
Les exemples sont nombreux, à commencer par l’attouchement des cheveux. On ne toucherait pas le ventre d’une personne enceinte sans son consentement, alors pourquoi le fait-on pour les cheveux d’une personne noire?
Ou alors, faire remarquer à une personne racialisée qu’elle maitrise bien la langue parlée par la majorité. « Tu parles si bien français, tu n’as pas d’accent » et « où as-tu appris à parler français? » sont des commentaires qu’on me fait souvent. Un peu pour souligner le fait que je ne fais pas partie de la majorité et que, de ce fait, on s’attend à ce que je ne puisse pas parler le même français que les autres. Et pourtant, le français est ma première langue!
Et finalement, la fameuse question « d’où viens-tu? ». Imaginez-vous donc que je viens d’ici!
On retrouve aussi d’autres types d’agressions comme le racial gaslighting. Vous connaissez sans doute le gaslighting, qu’on appelle en français le décervelage, qui nous a été présenté par le mouvement féministe. Le mouvement antiraciste nous présente alors le racial gaslighting, le décervelage racial, comme étant un détournement de vérités quant aux expériences de racisme.
Lorsque quelqu’un dénonce une action comme étant raciste et qu’une personne n’ayant jamais vécu ces expériences la corrige ou lui dit qu’elle a tort, c’est nier ses expériences et ses vérités. C’est ça, le racial gaslighting.
Et bien entendu, il y a le racisme systémique, que vous devez certainement déjà connaitre. Lorsque ces situations s’accumulent de jour en jour, croyez-moi, ça devient insupportable.Une souffrance longue et pénible
Dénoncer un climat toxique demande du courage. D’après mon expérience, les victimes ayant dénoncé se sont souvent elles-mêmes vues pénalisées et accusées d’avoir créé une atmosphère tendue.
Les punitions peuvent se traduire par des changements de tâches ou de fonctions, par le manque d’occasions de promotion ou, pire encore, par le congédiement.
Par crainte du pire, j’ai même vu quelques victimes quitter leur emploi avant même de porter plainte. La peur de dénoncer les actes existe. Le choix de dénoncer comporte des risques. Quand une personne dénonce des comportements abusifs ou un climat toxique, elle espère corriger la situation, ce qui n’est malheureusement pas toujours le cas.
Souvent, je remarque que la personne à l’origine du problème, l’agresseur, démissionne pour des « raisons familiales ou personnelles » et va se réinventer. Comment pourrait-on s’assurer que les actions dénoncées ne se reproduisent pas, autant pour la personne ayant causé les malaises que pour ses victimes?
Quelles sont les leçons à tirer et quelles sont les retombées? Dans quel état laisse-t-on cet organisme? Et surtout, dans quel état laisse-t-on les victimes?
Contrairement à la croyance populaire, le climat toxique ne s’infiltre pas seulement dans les grandes entreprises, mais aussi dans les petits organismes où l’on ne retrouve que quelques employé.es et où il est parfois plus difficile de trouver des ressources pour se sortir de ces situations. Il faut garder l’œil ouvert.
Appel à la vigilance
Et si c’était vous? Seriez-vous prêt.e à vous salir les mains ou chercheriez-vous le savon?
Un bon conseil : gardez l’œil ouvert, ça se produit peut-être déjà dans votre milieu de travail. Soyez vigilant.es et notez bien les non-dits.
Si les employé.es sont souvent malades, les demandes de congés sans solde nombreuses ou encore les départs de vos employé.es racialisé.es fréquents, c’est peut-être qu’il y a un problème.
Ensuite, il est important de reconnaitre ses torts et ses failles pour aboutir à un changement organisationnel. Faites appel à des expert.es dans la lutte antiraciste en milieu de travail qui pourront vous éduquer quant aux diverses formes de microagressions et au racial gaslighting, et qui vous donneront des pistes concrètes pour assurer un climat respectueux.
Choisissez vos combats : soit vous vous attaquez au problème de front dès maintenant, soit vous hériterez à terme d’une belle gestion de crise. À vous de choisir!
Paige Galette est activiste et éducatrice communautaire sur l’antiracisme et la lutte contre les oppressions, à l’échelle nationale. Son chapitre « From Cheechako to Sourdough : Reflections on Northern Living and Surviving while being Black » se retrouve dans le livre Until We Are Free : Reflections on Black Lives Matter in Canada (Diverlus, Hudson, Ware).