Sophie Coalllier
Mes parents ne chassaient pas; mes oncles, très peu. Ce n’est qu’à travers le folklore local que j’ai été en contact avec la chasse. Autant dire que ce contact était faible et façonné par des stéréotypes en tout genre. Je voyais la chasse comme un milieu d’hommes un peu barbares qui aimaient passer leur temps libre assis entre deux buissons, sirotant des bières tièdes en espérant qu’une bête passe par là.
Ma vision de la chasse et des chasseurs a changé depuis que j’ai quitté le Québec pour m’installer au Yukon. C’est peut-être parce que je connais maintenant des personnes qui s’adonnent à la chasse ou parce que je m’interroge davantage sur la provenance de la viande que je mange. Mais quelque chose a changé et je vois désormais la chasse comme un moyen de faire partie intégrante du cycle de la viande que l’on consomme, c’est-à-dire de l’abattage en passant par le dépeçage pour finir dans l’assiette. Pour faire partie de ce cycle, j’ai décidé de devenir chasseuse.
Mon parcours de débutante
Bien que je connaisse des personnes qui chassent, nous ne sommes pas assez proches pour que je me sente à l’aise de leur demander de me montrer comment faire. Donc, c’est en autodidacte que j’apprends les rudiments, grâce à des conseils, mais surtout beaucoup de YouTube. Bien sûr, j’ai suivi un cours sur l’éthique de la chasse qui couvre la réglementation, offert par le gouvernement du Yukon, ainsi qu’un cours pour avoir le droit de posséder une arme à feu, car le monde des armes à feu est aussi nouveau pour moi. Cependant, aucun de ces cours ne vous apprend comment chasser. Quelle arme faut-il pour tel ou tel gibier et comment le trouve-t-on ce gibier? Parce que, soyons honnêtes, on revient bien souvent bredouille. Disons que YouTube a ses limites et que je vais avoir besoin d’aide pour remplir mon assiette de viande sauvage.
Un milieu d’hommes?
Toutefois, ce n’est pas évident de trouver un mentor qui a envie de se trimbaler une apprentie dans les bois. Il faut dire aussi qu’à première vue la chasse semble être en effet un milieu d’hommes. Même si le nombre de femmes qui chasse est à la hausse, la majorité des chasseurs sont encore aujourd’hui des hommes. Au Yukon, au cours des trente-cinq dernières années, dix pour cent des chasseurs sont des femmes. Cette prédominance masculine implique que, mercatique oblige, la plupart des équipements de chasse leur sont destinés. C’est aussi une réalité qui peut décourager, on ne se sent pas toujours la bienvenue. C’est peut-être parce que certains se sentent envahis en quelque sorte dans un des derniers retranchements réservés aux hommes; ou bien est-ce seulement une impression que j’ai ? Quoi qu’il en soit, c’est un milieu qui est intimidant au début quand on manque d’expérience et de confiance.
Cela dit, il y a de plus en plus à travers le Canada, des cours de chasse destinés aux femmes et des associations de femmes chasseuses. Ces initiatives sont importantes pour inspirer, éduquer et créer un réseau de soutien pour les femmes qui chassent ou qui aimeraient chasser. Cela participe à contrebalancer justement le manque d’expérience et de confiance. Au Yukon, Yukon Outdoor Women (YOW) organise chaque année (du moins les années sans COVID) près de Whitehorse, un séjour de trois jours destiné aux femmes qui visent à développer des compétences reliées à la chasse, la pêche et aux activités de plein air. D’autre part, ces initiatives participent à modifier l’image classique du chasseur homme pour englober les femmes. Tous peuvent être chasseurs, même moi.
Des femmes qui chassent, et alors?
Encourager l’intégration des femmes dans le monde de la chasse, c’est aussi renforcer la transmission et la survie de cette pratique. Selon moi, cette transmission est essentielle parce qu’à travers la chasse, je développe tranquillement une connaissance profonde et intime de la faune et de l’environnement dans lequel elle évolue. J’approfondis le lien que j’entretiens avec mon environnement et je reconnecte avec l’être vivant qui me procure la viande que je mange. De plus, la chasse a cette particularité d’être intimement responsabilisante, elle nous amène à prendre conscience d’une manière différente de notre alimentation, de notre corps et de notre environnement. En tant que femme et chasseuse débutante au Yukon, j’acquiers tranquillement l’expérience et la confiance dont j’ai besoin, mais je trouve encore difficile de rencontrer des femmes qui chassent. Un jour, j’espère faire partie de la norme plutôt que d’une minorité afin que l’image du chasseur dans l’imaginaire collectif ne soit plus forcément celle d’un homme.