Le 31 mars dernier, l’Aurore boréale vous proposait un concours de création littéraire en ce début de printemps. Nous avons reçu beaucoup de textes. Nous vous en avons présenté deux dans l’édition du 28 avril, mais vous pouvez également lire les autres textes ici, car tous les textes soumis étaient plein de créativité et très beaux.
Merci à toutes les belles plumes qui ont participé.
Le Caravo
de Chloé Cashaback St-Laurent, 8 ans (presque 9)
J’en ai entendu des choses bizarres dans ma vie. D’abord, ma tante Didi, elle parle aux plantes. Je ne vous dirai pas ce qu’elle leur raconte, mais je vous avouerai que je l’ai même surprise en train de leur chanter des berceuses! Ma sœur, elle parle dans son sommeil. Ça grince comme une vieille radio mal ajustée. C’est une forme de somnambulisme, à ce qu’il paraît. On dirait qu’elle nous transmet des messages codés et ça me fout des frissons partout. Surtout que l’autre jour, elle s’est mise…
à parler de danger. Elle a répété pendant toute une semaine que les plantes de tante Didi étaient DANGEREUSES. Quelques jours plus tard, tante Didi qui préparait une salade la décora d’une fleur comestible. Elle mangea la fleur et, tout à coup, elle s’évanouit. C’est alors que j’ai eu l’idée de regarder sur le paquet de graines. Devinez quoi? Ce n’étaient pas des graines de capucines comme nous l’espérions, mais des graines de Caravo, une plante toxique!
Je suis allée voir ma mère pour l’avertir de ma découverte. En comparant la fleur mangée par tante Didi avec les illustrations de capucine que nous avons trouvées dans son livre de botanique, il était bien évident qu’il ne s’agissait pas de la même plante! Comment tante Didi avait-elle pu se tromper?
Depuis quelque temps, tante Didi perdait un peu la mémoire, et ses lunettes aussi! Elle avait donc mangé, sans le savoir, cette fleur de Caravo. Par chance, il existe une sorte de plume qui, trempée dans de l’eau salée, peut être donnée en antidote. Par contre, il s’agit d’une plume d’oiseau difficile à atteindre. Car l’aigle Chikit niche dans les hautes montagnes du nord.
Aucun instant à perdre! Nous sommes partis sur-le-champ pour cette grande aventure. Nous étions bien équipés : nos bouteilles d’eau, des collations nutritives, un sac à dos contenant nos sacs de couchage et une tente en poils de Krapak huilée. De vraies exploratrices. Après deux vols d’avion, deux montagnes à escalader, nous avons pu attraper le traversier du golfe d’argent où nous avons passé notre première nuit.
Le lendemain, nous avons traversé trois forêts et nous avons grimpé une dernière montagne. En haut se trouvait le nid de l’aigle Chikit. Cet oiseau étrange, au toupet magnifique, nous proposa comme son cousin l’aigle-sphinx, un marché : résoudre l’énigme en échange de l’une de ses plumes. Il nous fallait donc trouver la réponse à cette question : « Qui suis-je? J’ai des trous, mais je suis la matière la plus absorbante ». Nous avons fait un conseil de famille pour trouver la réponse : une éponge! C’est ainsi que l’aigle Chikit nous a fourni l’une de ses plumes en nous recommandant de prendre le chemin de droite qui nous sauva deux jours de voyage et trois montagnes à parcourir.
Rendus à la maison, ma mère a préparé une grosse salade d’oignons pour bien nous faire pleurer afin de récolter les larmes salées pour le trempage de la plume médicinale. Une fois le remède prêt, nous l’avons fait boire à tante Didi qui, à notre soulagement, s’est réveillée en se léchant les babines à la bonne odeur d’oignons qui flottait dans l’air. Elle regarda tout le monde, un peu surprise et affamée. Autour d’un bon bol de soupe, nous lui avons expliqué ce qui s’était passé. Et depuis ce jour, nous gardons un calepin et un crayon à côté du lit de ma sœur pour noter tous les avertissements qu’elle nous marmonne dans son sommeil… On ne sait jamais!
Dix mots de Cadix
de Justin Giraud
Dans son grincement habituel, la porte de la case postale s’ouvre.
La main fouille mollement le métal froid puis, s’arrête brusquement.Avec une mélange d’impatience et de prudence, émerge une carte postale. Tiens! Tiens! On ne l’attendait pas celle-là…
En voyant l’origine de cette carte postale, j’ai su immédiatement qui en était l’expéditeur. Je ne connais personne d’autre qui aurait non seulement l’idée de voyager dans un tel endroit et encore moins l’audace de s’en vanter. J’ignore les raisons pour lesquelles ce courrier a mis tant de temps à arriver entre mes mains.
Peut-être est-il resté dans cette boîte métallique toutes ces années. Passé inaperçu à mon toucher pourtant si avide d’y trouver une quelconque missive. Peut-être mon cerveau a-t-il déjoué mon sens affûté du toucher en ignorant sciemment l’existence de ce rectangle cartonné? Peut-être que cette carte a vécu bon nombre d’aventures incroyables avant d’arriver jusqu’à son destinataire : moi. Je ne le saurai jamais.
Encore aujourd’hui, en voyant le cliché aérien de cette petite ville espagnole perdue à l’extrême sud de la péninsule ibérique, j’éprouve une incompréhension totale. Il avait dit avec fierté : « C’est la ville la plus laide d’Espagne ». La Linea de la Concepción est séparée de Gibraltar par une piste d’atterrissage barrant une petite péninsule d’est en ouest, reliant la mer méditerranée à chaque extrémité du tarmac. Il y est allé en séjour linguistique, préférant l’authenticité d’une ville insignifiante de Cadix aux nuits endiablées de Barcelone où de Buenos Aires. Il s’est écoulé huit années entre le moment où cette carte fût touchée par son expéditeur puis par son destinataire.
Je n’ai jamais pris le temps d’oublier cet été-là. Nous nous étions promis de profiter de nos vacances pleinement. Je m’évadais dans des rêves interminables où j’imaginais nos retrouvailles. Revoir cette écriture maladroite, quelques mots griffonnés au stylo sur un coin de table, c’était comme s’il s’adressait de nouveau à moi. Huit ans plus tard. De là où il se trouve, il a réussi grâce à cette carte postale à me dire : « Tu me manques. J’imagine nos retrouvailles chaque jour. Je t’aime. » À la lecture de ces dix mots, je ressentais la déferlante du glissement de terrain intérieur que j’avais retenu à bout de bras pendant si longtemps. J’assistais impuissant à l’effondrement de l’espoir que j’avais construit, pierre après pierre. Je ne le reverrai pas.
À son retour, son avion s’est perdu au-dessus de l’Atlantique. Ni lui ni personne d’autre n’a jamais été retrouvé. Nous avions eu plusieurs fois l’occasion de nous parler au téléphone cet été-là. Il n’avait pas su me cacher l’existence de cette carte postale. Le destin avait choisi de m’offrir huit ans d’espoir. Autant de sursis à ce que je vivais à cet instant précis. Il est en train de me dire qu’il m’aime, huit ans après sa disparition. L’arrivée de ce courrier signifie que ses mots, sa parole ne sont plus en suspens. Ces quelques mots sont sa dernière prise de parole. C’est le passé qui s’adresse directement à moi, en faisant usage du présent de l’indicatif.
Le pouvoir de Lulu
Camille Cashaback St-Laurent (10 ans)
J’en ai entendu des choses bizarres dans ma vie. D’abord, ma tante Didi, elle parle aux plantes. Je ne vous dirai pas ce qu’elle leur raconte, mais je vous avouerais que je l’ai même surprise à leur chanter des berceuses. Ma sœur, elle, parle dans son sommeil. Ça grince comme une vieille radio mal ajustée. C’est une forme de somnambulisme à ce qu’il paraît. On dirait qu’elle nous transmet des messages codés et ça me fout des frissons partout. Surtout que l’autre jour, elle s’est mise à parler de super-habiletés!
Elle disait que chacun d’entre nous avait un super pouvoir. Enfin, c’est ce que j’ai compris quand elle a prononcé mon nom, « Lulu… pourquoi fais-tu la danse du bacon? » Je me demandais vraiment ce que cette histoire de danse du bacon venait faire dans les rêves prémonitoires de ma sœur! Et c’est là que notre histoire commence. Avant tout, vous devez savoir que Lulu c’est moi, que j’ai treize ans et que j’haïs danser! J’ai donc eu l’idée de lui poser plus de questions dans son sommeil, la nuit suivante pour essayer de percer un peu plus ce mystère.
En plein milieu de la nuit, je me suis munie d’un petit calepin de notes et d’un crayon rose. Je me suis installée en silence et aussi confortablement que possible et je lui ai murmuré une question au sujet de l’histoire de la danse du bacon. Elle me répondit la même chose que la veille. Je n’étais pas plus avancée. La seule chose qu’il me restait à faire, en tant que scientifique, était de tester la théorie de la danse du bacon pour en avoir le cœur net.
Pendant toute la matinée, je ne pensais qu’à ça… « Est-ce que je devrais essayer de faire la danse du bacon à la récréation? » Le problème c’est que si je n’y arrive pas, tout le monde se moquera de moi. D’un autre côté, si j’y arrive, qui sait quel pouvoir cette danse pourrait libérer en moi ?!? C’est mon professeur de maths, Monsieur P. Oligon qui m’a ramenée à la réalité en marmonnant tout haut mon prénom. Je me suis excusée, un peu embêtée d’être distraite, car les maths sont ma matière préférée…
La fin de la journée est arrivée très vite et je n’ai pas osé faire la danse du bacon à la récréation. De retour à la maison, je suis montée à l’étage pour m’enfermer dans ma chambre à tour de clé. Une fois certaine d’être seule, je me suis allongée de tout mon long sur le plancher et j’ai commencé à gigoter. Après quelques instants, je me suis levée, étirée un peu, mais je ne sentais rien de différent depuis ma rencontre avec le plancher. Je m’apprêtais à tout oublier cette histoire et à faire mes devoirs, lorsqu’une lumière fuchsia sortit de mes oreilles. Tout à coup, j’ai entendu un oiseau, dans l’arbre voisin, qui perçait sa coquille! Surprise, je me suis écriée. « Hallucinant! »
Je n’en croyais pas mes oreilles! J’entendais tout! Plus besoin d’espionner, je pouvais entendre tout ce qui se mijotait, se murmurait, se cachait à des kilomètres à la ronde. Un sacré pouvoir! Pas question que j’en parle à personne! Ils vont me prendre en otage pour me faire des tests débiles et peut-être même me disséquer ou prendre tout mon sang pour l’analyser. Pas pour moi. Jusqu’à ce que j’ai un doute en observant ma tante Didi, parler à ses plantes. Elle ne faisait pas que leur parler, elle prenait des pauses et semblait leur répondre quelque chose comme quand on a une discussion avec quelqu’un. En m’approchant, j’ai entendu l’aveu d’une plante carnivore qui rêvait d’être végétarienne. Quoi? J’entends aussi parler les plantes? J’ai fait « ma petite vache a mal aux pattes » avant de savoir si je devais parler de mon don à Tante Didi, mais avant même que je me décide, elle m’a regardé droit dans les yeux et j’ai vu, une lumière fuchsia sortir de son oreille. Wow. Ça, c’est ce qu’on appelle un vrai secret de famille…
Dans son grincement habituel, la porte de la case postale s’ouvre.
Ludovic Gouaillier
Dans son grincement habituel, la porte de la case postale s’ouvre.
La main fouille mollement le métal froid puis, s’arrête brusquement. Avec une mélange d’impatience et de prudence, émerge une carte postale. Tiens! Tiens! On ne l’attendait pas celle-là… Il faut dire que depuis la fin de la Grande Pandémie, trouver quoique ce soit dans sa boîte qui vienne d’au-delà des montagnes est un événement rare. Vu le retrait de ce qui subsiste des gouvernements d’autrefois dans leurs capitales dont ils peinent à contrôler les vestiges, la circulation du courrier à travers le continent, comme celle des marchandises et des personnes, dépend maintenant d’un syndicat hétéroclite d’aventuriers, d’entrepreneurs plus ou moins louches et de rêveurs, et reste à la merci de soucis divers allant de l’attaque de pillards à l’explosion de moteurs de fortune nourris à l’éthanol frelaté.
Par ici au moins, ces services sont assurés par le Conseil, manifestation législative et administrative fédérée de ces « Premières Nations » qui ont repris sur le territoire l’autorité qu’une résilience millénaire semblait naturellement leur conférer. Courrier et autres marchandises circulent efficacement et ponctuellement par cheval, traîneau à chiens, machine à vapeur ou à voile, et parfois même par engin à essence lorsque les circonstances justifient l’utilisation des précieuses réserves de la communauté.
La carte postale est jaunie et abîmée, probablement sortie d’une de ces ruines abandonnées dont les plus persévérants récupérateurs arrivent encore à extraire des trésors désuets, et ensuite troquée à ma sœur qui pose sa signature au coin du carton taché. Un clin d’œil en vérité, puisque l’Internet a mieux résisté à la fin du monde que l’humanité, et que ma sœur me donne des nouvelles chaque fois que l’accès mutuel à un terminal devient possible.
Sur la carte, une photo de deux enfants rieurs savourant une friandise dans ce qu’on appelait un centre commercial, bondé et rempli des luxes insondables d’une époque révolue. Autour d’eux, des dizaines de femmes et d’hommes, serrés dans le cadre de l’image et pressés les uns contre les autres. Tous paraissent totalement insouciants de cette promiscuité qui, on leur disait déjà, allait un jour permettre à quelque chose de sérieusement dangereux de se propager plus vite qu’un mal s’échappant de la boîte de Pandore. Pas de mot outre la signature. Quoi penser? Probablement une simple excentricité de la part de ma sœur, pour le défi de voir si l’envoi se rendrait à destination. Haussement d’épaules. J’hésite un peu au-dessus du poêle qui ronronne doucement et je glisse la carte postale sous ma veste. Qui sait ? Il est temps d’aller relever les collets et de vérifier les nasses dans la rivière. La chasse et la pêche seront bonnes encore aujourd’hui. Les centres commerciaux peuvent bien avoir disparu, la nature est redevenue généreuse. Le soleil brille. La journée s’annonce belle au bord du fleuve Yukon.
Texte 5
Marie-Alexis Dangréau
Dans son grincement habituel, la porte de la case postale s’ouvre. La main fouille mollement le métal froid puis s’arrête brusquement. Avec un mélange d’impatience et de prudence émerge une carte postale. Tiens! Tiens! On ne l’attendait pas celle-là…
Une carte de mon oncle Gérard! Ah mon oncle Gérard! Cinq ans depuis la dernière fois que je t’ai vu. Cinq longues années à me demander ce qui a bien pu te passer par la tête en ce doux après-midi d’été pour que tu exploses à ce point, et qu’ensuite, tu disparaisses sans laisser ni adresse ni numéro de téléphone. Tout était pourtant réuni pour que nous passions une journée mémorable : un lieu paradisiaque, un ciel bleu azur, un soleil éclatant, et bien sûr, le mariage de notre chère Céline avec son amour de toujours, Boris.
Je me souviens combien tu aimais les taquiner ces deux tourtereaux, eux qui chaque fois prétendaient n’être que de très bons amis, des compères d’aventures. Mais toi et moi n’étions pas dupes, nous avions très bien vu ce qu’il se tramait entre eux, et ça nous faisait bien rire! Tu nous avais surnommés les inséparables, Céline, Boris et moi. Nous passions presque tous nos étés chez toi, à profiter de la ferme et du lac tout proche. Nous allions nous y baigner presque tous les jours, hurlant à chaque fois que l’eau était bien trop fraîche, que c’était inhumain une eau si glacée! Ça ne nous empêchait pas pour autant d’y rester des heures et de finir la journée rouge écrevisse. Le soir, tu nous préparais tes fameuses côtelettes au barbecue, et puis nous t’écoutions jouer de la guitare autour du feu.
Maintenant que j’habite la grande ville, je me rends compte à quel point ce calme et cette « paisibilité » me correspondaient bien, et à quel point ça me manque. Je n’avais pas voulu te croire à l’époque, mais une fois de plus, tu avais raison. J’ai beau chercher aussi loin que je puisse me souvenir, je ne me rappelle d’aucune fois où tu as eu tort. J’ai toujours été impressionnée et intriguée par tant de sagesse, surtout à ton âge. Tu ne t’énervais jamais, tu avais toujours les mots justes, et surtout, tu nous donnais toujours de précieux conseils qui me servent encore aujourd’hui, dans ma vie d’adulte.
Cette vie d’adulte que je dois aujourd’hui affronter sans toi, sans ton soutien, mais sans savoir pourquoi tu n’es plus là pour moi, pour nous. Tu n’as pas idée du vide que tu as créé, et combien tu nous manques. Si seulement tu nous avais expliqué pourquoi tu voulais fuir si loin de nous, peut-être aurions-nous pu être là pour toi, pour une fois. Tu ne nous as pas laissé cette chance et au lieu de cela, tu nous as laissé un sentiment de culpabilité de n’avoir pas su, pas pu t’aider.
Mais voilà, cette carte postale est peut-être la réponse à toutes mes interrogations. Étrange cependant qu’elle soit des Maldives, toi qui as toujours détesté la chaleur et la mer. Je me demande si Céline et Boris en ont aussi reçu une. Il faut que je les appelle! Assez d’égarement et de questionnement, il est temps pour moi de prendre une grande respiration et de lire ce que tu m’as écrit.
Poème
Otto Ziegler
Dans son grincement habituel, la porte de la case postale s’ouvre. La main fouille mollement le métal froid puis s’arrête brusquement. Avec un mélange d’impatience et de prudence émerge une carte postale. Tiens! Tiens! On ne l’attendait pas celle-là…
Mises à part quelques factures, on ne reçoit que rarement du courrier.
Enfin, si, le journal.
Tous les jours, le journal. À 8 h 15.
Tous les jours sauf aujourd’hui.
Je contemple la carte.
Sydney. J’ai toujours rêvé de m’envoler un jour pour l’Australie,
Écouter la symphonie du Nouveau Monde assis au premier rang de l’opéra,
Me perdre dans le bush australien,
Errer entre les eucalyptus d’un autre temps.
Un jour, peut-être.
Je retourne la carte pour découvrir l’expéditeur,
Personne de mon entourage n’avait prévu un périple australien,
Personne de mon entourage n’écrit de carte postale de toute façon.
Au prénom, mon cœur rate un battement.
Au nom, il s’arrête.
Le chant matinal des oiseaux semble se transformer en de lugubres croassements de corbeaux
Le ciel semble s’assombrir, le soleil briller moins fort.
J’ai tout d’un coup froid.
Quinze ans sont passés.
La dernière fois que je t’ai vu, tu descendais de ma voiture au feu rouge à l’angle de Saint-Denis et Rachel.
Tu partais sans te retourner.
Tu me quittais sur un simple : « Bonne chance ».
Tu disparaissais.
Le feu est longtemps resté rouge. Je n’ai jamais entendu les klaxons.
Je prends appui sur la case postale.
Respire.
Fort.
Tu m’écris une carte postale.
Toi? Une carte postale?
Comme ça? Comme une envie de pisser?
Une calice de carte postale avec trois pauvres phrases avec un smiley qui sourit complètement pourri!
Une saloperie de carte postale où tu me demandes comment je vais et ce que je suis devenu, où tu me racontes ton périple australien de merde qui bizarrement ressemble vraiment étrangement à celui dont je rêvais avec toi le soir tard sur la terrasse.
Respire.
Très fort.
Je m’assois par terre.
Il y a quinze ans, au feu, j’aurais dû accélérer au moment où tu traversais.
Je pleure.
Ma mère disait : « C’est bien de pleurer, ça fait du bien, ça aide à passer à autre chose. »
Faux.
Archi faux.
Sinon pourquoi je serais resté quinze ans coincé à ce même maudit feu rouge?
Ce n’est pas faute d’avoir pleuré.
Je reste assis contre un arbre un moment…
Long, le moment, très long.
Les yeux dans le vague.
Je revis notre histoire, je rêve celle qu’on aurait pu avoir, j’essaie d’imaginer à quoi tu ressembles aujourd’hui.
Soudain, j’entends un bruit, je sens une présence, non des présences.
Je me retourne.
Trop tard, les loups sont sur moi, tous les crocs dehors.
Je crie et me réveille en sursaut tout en sueur.
Tu es là, dans le lit, loin, loin dans les bras de Morphée.
Je me lève, enfile un jogging et cours à la case postale.
Il est 8 h 20, le journal doit être là.