— Initiative de journalisme local — APF
Le Canada regroupe un peu plus de 64 % de la population mondiale de bœufs musqués. Si, globalement, les populations sont stables, certaines diminuent drastiquement, comme celles de l’Extrême-Arctique, notamment dans l’ouest de l’archipel Arctique, de l’île Victoria au Nunavut et des Territoires du Nord-Ouest. Plusieurs scientifiques mettent en cause les changements climatiques.
Pour les Inuits des collectivités de l’ouest du Nunavut, le bœuf musqué est une source importante de nourriture. Sa laine intérieure, le qiviut, d’une qualité comparable au cachemire et d’une chaleur inégalable, est également très prisée pour l’habillement. La chasse du bœuf musqué est donc une activité nécessaire à la survie de ces collectivités.
Pourtant, elle est de plus en plus difficile à pratiquer. Les hardes ne sont plus localisées au même endroit, car le nombre de bêtes chute et surtout, car plusieurs d’entre elles sont rongées par la maladie. Les scientifiques s’interrogent à savoir si ces phénomènes sont des répercussions directes des changements climatiques.
Des recherches menées par l’Université de Calgary
Fort de ce constat, la vétérinaire Susan Kutz, chercheuse à l’Université de Calgary, a décidé de mener des études pour tenter de comprendre pourquoi. En collaboration avec des chasseurs inuits et des biologistes du gouvernement du Nunavut, elle analyse des échantillons d’excréments, de poil, d’os et de sang. Ces analyses lui permettent de tirer plusieurs hypothèses, toutes liées aux changements climatiques. Par exemple, la démonstration de l’apparition de nouveaux parasites, laissant émerger des maladies, elles-mêmes responsables du déclin de la population de bœufs musqués de l’île Victoria et des Territoires du Nord-Ouest.
Le strongle pulmonaire, un ver qui infeste les poumons et affaiblit les animaux, a migré au Nord et atteint l’île affectant la santé des bœufs musqués. La vétérinaire pense que « les températures plus élevées ont probablement favorisé la reproduction de larves dans leurs hôtes, les limaces et les escargots. » Dans certaines carcasses de bœufs musqués se trouve une bactérie (Erysipelothrix rhusiopathiae) responsable d’une infection de la peau des bovidés qui, jusqu’à présent, était absente de cette partie du Nunavut.
Enfin, de nombreuses bêtes ont été retrouvées avec des incisives cassées, démontrant une variation de leur alimentation, elles-mêmes pouvant s’expliquer par une modification de végétation, là encore liée à des conditions météorologiques et climatiques différentes de ce qu’on retrouvait il y a encore quelques années.
Une situation nuancée au Yukon
Mike Suitor, biologiste régional du Nord du Yukon, travaille au gouvernement du Yukon et étudie les populations de bœufs musqués. Pour lui, il est difficile de faire un lien direct entre une éventuelle évolution du comportement des bovidés et les changements climatiques, certainement par manque de recul, mais aussi parce que les populations au Yukon (environ 300 bêtes) sont stables depuis plusieurs années.
En 2015, un projet d’observation des bœufs musqués du versant nord du Yukon, zone qui s’étend de l’Alaska à la frontière des Territoires du Nord-Ouest, a été lancé pour suivre leur comportement et leur interaction avec d’autres espèces, comme les caribous. Les individus des hardes ont été équipés d’un collier avec différents capteurs GPS et de température.
« Nous avons remarqué que quand les températures sont anormalement hautes, et c’était le cas en 2017, les bœufs musqués quittaient la côte pour monter dans les montagnes, probablement pour éviter les insectes et pour atteindre une zone où ils pourraient se rafraîchir. », confie Suitor. Rien de plus incriminant envers les changements climatiques n’a donc été mis en évidence, pour le moment, au Yukon.
Sur l’île Victoria, puisque la chasse des bœufs musqués devient plus exigeante en raison des plus grandes distances à parcourir pour trouver des bêtes et des mises à mort parfois inexploitables à cause des maladies, les Inuits peinent à accumuler assez de provisions de viande pour tenir tout l’hiver et doivent alors se rabattre sur l’épicerie, solution plus coûteuse pour se nourrir, mais aussi une habitude difficile à prendre, car ils n’ont jamais été habitués à dépendre de ces stocks-là. Susan Kutz conclut : « Nos recherches réunissent le savoir scientifique et le savoir traditionnel local, car nous voulons garantir la présence durable à l’avenir de cet animal iconique de l’Arctique. ».