D’agrobusiness à bioplastique,même les pages du dictionnaire semblent prendre part aux mouvements activistes environnementaux.
Chaque année, les dictionnaires incluent une centaine de nouveaux mots. L’an passé, l’Aurore boréale proposait un article au sujet des nouveaux mots de la langue française. Selon les statistiques de Francopresse, ce texte est demeuré dans les quinze articles les plus lus parmi les journaux franco-canadiens à travers le monde, tout au long de l’année.
Puisqu’en 2019, la ville de Whitehorse et le Yukon déclaraient l’état d’urgence climatique, et que l’Aurore boréale rejoignait le groupe Covering Climate Now, voici cette année quelques tendances du vocabulaire vert des dictionnaires.
Le dictionnaire :sismographe de l’évolution du monde
En regardant les deux dernières décennies vocabularienne [néologisme], il est possible de saisir un portrait de l’évolution de nos sociétés.
Bernard Cerquiglini, éminent linguiste français, décrit ce phénomène dans le communiqué de presse de la compagnie Hachette Québec : « Le néologisme [l’invention de nouveaux mots] (…) rend compte de l’évolution du monde. Une nouvelle édition [du dictionnaire] nous renseigne sur l’état actuel du lexique ; elle nous informe également sur nos pratiques, nos idées, nos mœurs, et sur leur mutation. » Selon lui, certains mouvements se sont amorcés grâce au vocabulaire. « Le néologisme est alors un signe avant-coureur, le dictionnaire, un sismographe », affirme-t-il.
En effet, si l’on se penche sur les deux dernières décennies, les tendances environnementales paraissent sans équivoque.
En 2004, le terme commerce équitable entrait dans le dictionnaire. L’année suivante, c’est altermondialisme qui a rejoint les pages du Petit Larousse. Écocitoyen arriva en 2006, collecte sélective en 2009, autopartage et écoquartier en 2011. C’était une belle lancée, jusqu’à ce que gaz de schiste et bisphénol A rejoignent les rangs en 2013, suivis de climatosceptique en 2014.
En 2015, agroécologie, bioéconomie, obsolescence programmée et zénitude replaçaient la barre. Ce n’est qu’en 2016 que la transition énergétique et le financement participatif entrent dans le vocabulaire planétaire officiel. Suivis en 2017 par covoiturer et antisystème.
Malheureusement, en 2018, le continent de plastique faisait surface, de même que le glyphosate. Une chance, la même année, l’inclusion de pleine conscience et de permaculture permettait tout de même une tendance optimiste.
Enfin, en 2019, nous avons vu l’évolution vocabulo-environnementale prendre une envolée lyrique, incluant d’un seul coup, croissance verte, écotoxique, fait alternatif, flexitarisme, microhabitat ainsi que principe pollueur-payeur. Les tendances sociales aussi évoluaient, comme le démontrent les termes de communication non violente, éducation positive, mais aussi sans-abrisme…
2020 et les mots verts des dictionnaires
Au palmarès des nouveaux mots de 2020, l’environnement garde une place de choix.
Dans les pages du Petit Larousse entrent cette année les mots bioplastique (plastique biodégradable, issu de ressources renouvelables ou non ; plastique non biodégradable, bien qu’issu de ressources renouvelables), dédiésélisation (ensemble des actions visant à réduire la proportion de véhicules fonctionnant au diesel dans le parc automobile) et locavorisme (mouvement préconisant la consommation d’aliments issus de la production locale). Le Petit Robert, lui, inclut l’agrobusiness ainsi que le danger des microbilles et de la neige industrielle (appelée aussi neige de pollution ou neige urbaine). L’écopâturage et le zéro déchet démontrent eux aussi des tendances environnementales.
Même en anglais les nouveaux mots sont verts : le dictionnaire britannique Oxford a désigné l’urgence climatique comme terme de l’année, tandis qu’il incluait cette année dans ses pages climate denial (déni climatique, porté par les climatosceptiques), eco-anxiety (anxiété générée par la crise climatique), ecocide (destruction délibérée de l’environnement) ainsi que flight shame (honte, réticence à utiliser l’avion dans ses déplacements en raison de la pollution).
Quelques tendances un peu plus inquiétantes
Si les pages indiquent donc une tendance environnementale, n’oublions pas que notre société utilisera également désormais des termes officiels tels que le sigle OVM (organisme vivant modifié), ainsi que survivalisme (activités d’individus qui se préparent à une catastrophe, naturelle ou autre, à l’échelle locale ou mondiale).
Nouvelles tendances sociales, le spécisme (idéologie qui prône la supériorité d’une espèce sur les autres, dans la plupart des cas à l’avantage de l’espèce humaine) et le suprémacisme (idéologie basée sur une prétendue supériorité d’un groupe humain sur un ou plusieurs autres) font surface, contrebalancés par la notion de doxocratie (système politique où l’opinion publique occupe une place essentielle dans les prises de décisions).
Enfin, on peut noter que, bien que Greta Thunberg soit « la personnalité » de l’année du Times, elle ne fait pas encore partie des noms propres des dictionnaires. Peut-être en 2021…