Michel Savard –Le Gaboteur
Cette question virelangue, mon père avait l’habitude de nous la poser quand il voulait nous amuser. Il était loin de se douter qu’elle servirait un jour à intituler un article sur les thés « sauvages » qu’on peut concocter en utilisant diverses plantes communes de notre environnement. Nos ancêtres voyaient le monde d’un œil fort différent du nôtre, et savaient se passer de l’épicerie et de la pharmacie pour se nourrir et se soigner. Ce savoir leur avait été transmis par leurs aïeuls européens et, dans une large mesure, par les populations autochtones d’Amérique.
Depuis toujours, inspiré par quelques amis et aidé par quelques guides d’identification, je m’intéresse à la botanique : les plantes qui nous entourent me questionnent et m’inspirent, et je me plais à reconnaître leurs noms spécifiques et scientifiques. Cette passion m’a fait découvrir la joie des cueillettes de fruits sauvages et de champignons, et, plus récemment, le monde délicieux des infusions.
En explorant Terre-Neuve, j’ai trouvé que la province ne méritait pas l’appellation rébarbative de « rocher » qu’on se plaît à lui attribuer ailleurs au Canada. S’il est vrai que sa flore est limitée et souvent de petite taille, elle n’en est pas moins variée et riche en plantes comestibles. Ces trésors botaniques sont aussi présents à d’autres endroits au pays, notamment au Yukon. Laissez-moi vous présenter ici quelques plantes communes de la province dont on peut tirer d’excellents thés.
Commençons par la menthe (Menta canadensis), une plante éminemment reconnaissable par son parfum prononcé et ses fleurs bleu-lilas poussant à l’aisselle des feuilles; on la trouvera en abondance tout l’été en sols humides, dans les fossés et le long des cours d’eau. On l’utilise dans les sauces et les gelées, et on en fait une infusion délicieuse qui, servie chaude ou froide, contribue à soulager les maux de tête, la toux et la congestion des sinus.
Le pissenlit (Taraxacum officinale) est une plante omniprésente, mal-aimée de nos parterres. Saviez-vous qu’une infusion de ses feuilles et de ses racines était riche en vitamines A, B, C et E, en fer, en calcium et en potassium, et contenait de l’inuline, un sucre qui stimule le système immunitaire? Son thé abaisse les taux de sucre et de cholestérol et la pression sanguine, réduit l’inflammation, est antibiotique et favorise la perte de poids. Récoltées au printemps, ses racines font aussi un excellent substitut du café : mettez-les à sécher 4 heures au four à 180 oC, puis passez-les au moulin à café.
Trèfle rouge
Sur nos pelouses, dans les jardins et dans les zones perturbées, on peut aussi cueillir durant l’été, le trèfle rouge (Trifolium pratense), aux belles fleurs roses en pompons. On fait un thé délicieux de ses fleurs fraîches, ou séchées à la température de la pièce et conservées dans un bocal. L’infusion est un calmant léger et apaise la toux, la fièvre, le mal de gorge et les rhumatismes. Essayez de le mélanger à des feuilles de menthe (une partie de menthe pour quatre parties de fleurs de trèfle) et sucrez avec du miel.
Lédon du Groenland
Le lédon du Groenland (Ledum groenlandicum), mieux connu sous l’appellation « thé du Labrador » pousse un peu partout dans les tourbières et sur les collines rocheuses. Cueillies au printemps, ses feuilles à la face inférieure couverte de poils orangés donnent des infusions parfumées qu’on peut servir chaudes, tièdes ou glacées, avec un peu de sucre. Pour les préparer, on porte d’abord l’eau à ébullition, puis on la verse sur les feuilles. Le thé du Labrador est légèrement laxatif et soulage la diarrhée et les maux de ventre; mélangé à de l’alcool, il agit aussi comme calmant.
Ronce du Canada
Deux arbustes à petits fruits bien connus peuvent aussi être utilisés pour préparer des thés : les feuilles séchées du framboisier (Rubus idaeus) et de la ronce (Rubus canadensis) donnent d’excellentes infusions. Dans les deux cas, s’assurer de cueillir des feuilles jeunes et saines, et de les préparer fraîches ou complètement séchées.
En terminant, quelques conseils de bon sens. Quand vous cueillez dans la nature, assurez-vous d’avoir bien identifié votre plante, de la cueillir dans une zone où il y en a beaucoup et de ne prélever que quelques feuilles par plante. Évitez également les secteurs voisins de la circulation et de sources de pollution, et tout terrain qui a été traité aux pesticides. Bonne dégustation!