« J’appelle ça le jour où Dieu m’a botté le cul. C’est dans ces moments-là que tu te rends compte que la nature est plus forte que toi, peu importe la formation que tu reçois. »
C’est ainsi que Mireille Labbé décrit le phénomène de turbulence en air clair qui l’a projetée au plafond d’un Boeing 737 le 27 août dernier.
Agente de bord pour la compagnie yukonnaise Air North, la jeune femme assure cette journée-là le service sur un vol nolisé affrété par une compagnie pétrolière. L’appareil a décollé de Firebag et se rend à Leduc (Alberta), avec à son bord des travailleurs de la compagnie. La durée du vol ne doit pas excéder une heure.
Une quinzaine de minutes avant l’atterrissage, alors que les trois agents de bord viennent de recevoir l’appel de la préparation de la cabine, une première secousse les renverse.
Deux secousses en 30 secondes
« Nous étions tous les trois à l’arrière lorsque la première secousse a eu lieu », raconte Mireille Labbé. « Ma collègue a juste eu le temps de prendre le micro, de tirer le fil et d’appuyer sur le bouton. Quand nous sommes remontés, nous avons essayé de nous agripper à n’importe quoi : le boîtier du téléphone, le siège des agents de bord, la poignée de porte… »
Jeté au sol, le personnel de bord se relève douloureusement du plancher. Mais quelques instants plus tard, une seconde secousse les propulse une nouvelle fois au plafond de l’appareil. Mireille Labbé retombe sur son genou, sa collègue frappe sa tête au sol.
« Je savais que c’était de la turbulence, et non un problème avec l’avion, mais quand tu prends le coup, tu ne peux que perdre la carte », explique l’agente de bord. « Et vient le moment où tu vois ta collègue étourdie par terre, du sang sur la tête. »
S’agripper à la vie
Incapable de plier la jambe et appréhendant une troisième secousse qui n’arrivera finalement pas, la jeune femme doit pourtant s’organiser pour aider sa collègue et s’aider elle-même, tout en s’assurant que les passagers n’ont pas été blessés par les secousses. Ceux-ci sont indemnes et proposent même leur assistance, mais les vérifications de sécurité précédant l’atterrissage ne peuvent pas attendre.
« Une hôtesse de l’air, c’est quelqu’un qui a reçu toute une formation sur la façon de prendre en charge une situation d’urgence, qui sert du café, qui sourit et prend soin des gens », explique Mireille Labbé. « Mais quand tu te retrouves dans une situation d’urgence, tu deviens comme n’importe qui d’autre : tu oublies le café et tu essayes de t’agripper à la vie », dit-elle. « Dans notre malchance, nous avons au moins eu la chance de ne pas être au milieu d’un service. Si cela avait été le cas, des jets de café auraient volé partout, des canettes, des bouteilles d’eau pleines, tout le chariot! »
Un phénomène imprévisible
Employée d’Air North pour la saison estivale, Mireille Labbé a commencé à voler le 1er juin dernier et comptait déjà plus d’une centaine de vols à son actif. Une formation de quatre semaines lui avait même été offerte au préalable, mais comme elle l’explique, certains événements restent toujours imprévisibles.
« Une turbulence en air clair est imprévisible sur les radars et il n’existe aucune prévention », affirme-t-elle. « L’avion plonge dans la poche d’air, la gravité n’existe plus et tu sautes au plafond. Tu as beau avoir reçu toute la théorie, quand un événement aussi simple que des turbulences survient, tu te fais ramasser comme une balle de pinball. »
Prises en charge par le responsable des opérations de l’aéroport de Leduc, les deux agentes blessées ont été transférées aux urgences de l’hôpital le plus proche où elles ont été soignées. Quant au troisième agent de bord, il s’en est tiré indemne.
Choc post-traumatique
L’accident aura laissé d’autres traces, puisqu’une certaine appréhension aura marqué le vol de retour vers Whitehorse.
« Le lendemain, nous avons eu un peu de turbulence entre Edmonton et Whitehorse. Ça m’a fait peur et je me suis agrippée à l’accoudoir. Tout ce que je voulais, c’était rentrer chez moi », confie l’agente de bord.
Malgré cette aventure, Mireille Labbé reconnaît que son expérience professionnelle chez Air North a été l’une des choses les plus passionnantes qui lui soient arrivées. Le soutien dont elle dit avoir bénéficié a grandement joué dans la perception de l’emploi qu’elle vient de quitter au terme de son contrat saisonnier.
« Je n’ai jamais vu des superviseurs qui se soucient autant du bonheur et de la qualité du travail des autres employés », assure-t-elle. « C’est dans ces moments-là que je me dis que j’ai été chanceuse dans ma malchance, et qu’il y a malgré tout des gens qui se soucient de ma santé et qui font tout pour que ça aille mieux. »