Françoise La Roche est l’initiatrice du projet. « L’idée du projet a germé l’année passée. Je suis allée voir l’exposition Dark Alice. J’ai trouvé ça formidable, et c’était un collectif. » L’artiste visuel a alors contacté Marie-Hélène Comeau pour lui demander s’il existait au Yukon un collectif d’artistes francophones. Puisque la réponse était non, elles ont décidé de contacter trois autres collègues pour leur proposer de travailler ensemble.
« Au cours du projet, la cinquième personne s’est désistée, mais on a gardé le nom de la Bête à cinq têtes, car la cinquième tête, c’est nous quatre réunies, c’est notre collectif », explique Françoise La Roche.
La légende de la chasse-galerie
Si deux versions de cette histoire cohabitent dans l’imaginaire francophone, c’est celle qui a vogué dans la mythologie québécoise qu’ont retenue les quatre artistes.
La légende de la chasse-galerie raconte qu’un groupe de bûcherons, le soir du réveillon, ont eu envie d’aller rendre visite à leurs amoureuses vivant à cent lieues plus loin. Le seul moyen de faire ce chemin et de revenir à temps pour travailler le lendemain matin était de participer à la fameuse chasse-galerie, c’est-à-dire d’utiliser un canot volant, géré par nul autre que le diable en personne.
Les bûcherons ont donc fait un pacte avec ledit démon, et leur canot s’est envolé dans les airs et les a transportés à toute allure. Bien entendu, ce pacte comprenait un revers de médaille : ils ne devaient pas blasphémer durant la traversée ni heurter le canot aux clochers d’églises, et ils devaient tous être de retour avant six heures le lendemain matin. Dans le cas contraire, ils perdraient leurs âmes et les offriraient au diable.
Les péripéties et la fin de l’histoire varient dépendamment des versions populaires.
Cette légende a tant nourri l’imaginaire de la Belle Province qu’un timbre canadien de 0,40 $ sur le thème du canot volant a été imprimé en 1991 dans le cadre d’une série sur les contes populaires canadiens. La brasserie québécoise Unibroue représente également cette légende sur l’étiquette de sa bière rousse, La Maudite, qui illustre les bûcherons à bord d’un canot volant.
« Dans le café Midnight Sun, il y a une œuvre de Halin de Repentigny [artiste peintre de Dawson], qui a fait une immense toile avec un canot rempli d’individus louches qui proviendraient de Dawson et qui sont dans le ciel. C’est la chasse-galerie de Dawson, qui a été faite il y a des années », ajoute Cécile Girard, pour démontrer le caractère très connu de cette légende.
À la rescousse du canot enraciné
« On a été très chanceuses, explique Françoise La Roche, car le canot, le vrai, a atterri dans un lac, derrière chez Cécile! »
Les artistes ont élaboré un concept d’œuvre collective autour de l’épave. Les quatre femmes ont uni leurs forces pour extraire le canot qui avait élu domicile depuis plusieurs décennies dans un lac proche du lac Marsh, enseveli sous la boue et des branches qui le recouvraient après tant d’années à être échoué sur une rive.
« Nous avons carrément dû le déraciner, explique Cécile Girard. C’est particulier de penser qu’un canot, habituellement léger et mobile, a dû être arraché à la terre. » C’est d’ailleurs ce qui l’a inspirée pour sa partie de l’œuvre collective : les racines du canot seront imagées par des bandes de tissu, sur lesquelles seront brodés des cognats vrais, c’est-à-dire des mots homophones/homographes entre le français et l’anglais ayant une origine commune et qui sont restés semblables entre les deux langues pour toutes leurs acceptions. On retrouve parmi ces mots « illusion », mais aussi « passion » ou même « joie de vivre ».
Même s’il reste une année pour terminer leurs créations, les artistes ont déjà quelques certitudes sur la finalité du projet. Il s’agira d’une exposition collective, qui inclura des œuvres individuelles toutes reliées au thème de la chasse-galerie, et une œuvre collective de grande taille : le fameux canot, explosant en plein ciel au-dessus de Whitehorse.
Françoise La Roche est responsable de la création du ciel étoilé et Virginie Hamel, de la réalisation d’une maquette illustrant le paysage yukonnais au-dessus duquel voguera le canot. Marie-Hélène Comeau travaillera quant à elle sur le côté audio de l’œuvre, par l’enregistrement de sons, d’émotions ou de témoignages qui seront diffusés avec l’œuvre.
Les artistes se disent encore hésitantes sur l’identité des passagères ou passagers du canot. « Ça pourrait être une gang de madames qui vont rejoindre leurs chums et faire la fête! », affirment Cécile et Françoise dans un éclat de rire à l’unisson.
L’exposition devrait voir le jour fin 2023 et sera présentée au Centre des arts du Yukon.
IJL – Réseau.Presse – L’Aurore boréale