Inès Lombardo, Francopresse
Trois cinéastes, trois générations, deux langues. Un Inuk, un Québécois et un Français installé au Québec, dont les films ont été projetés au Festival international d’animation d’Ottawa dans leur langue, en version sous-titrée anglaise et/ou française. Ils nous partagent leur façon de voir les langues au cinéma en 2021.
Zacharias Kunuk est le réalisateur Inuk du court-métrage d’animation Angakusajaujuq : The Shaman’s apprentice, tourné en inuktitut. Le Québécois Félix Dufour-Laperrière a réalisé Archipel et Vivien Forsans, Français d’origine, mais présentement étudiant en cinéma à Montréal, est à l’origine du film autobiographique Deuxième prénom.
Les trois étaient en compétition dans des catégories différentes au Festival international d’animation d’Ottawa (FIAO). Les trois défendent leur langue, chacun à leur manière.
Une « dimension politique »
Selon Félix Dufour-Laperrière, « l’utilisation de la langue française dans le cinéma est un élément crucial. Si ce n’est pas [au cinéma] que nous le faisons, qui le fera, surtout au Canada? C’est un bagage culturel, un souvenir, mais il y a aussi une certaine honnêteté intellectuelle de défendre cette langue lorsque l’on fait un film. »
Son film raconte l’histoire d’archipels québécois, réels ou fictifs. Il a été projeté en français avec sous-titres en anglais au FIAO. Il intègre aussi des phrases en innu-aimun.
« Personnellement, je n’ai pas la même aisance avec l’anglais. Et puis, même si je vais dans des festivals internationaux, j’utilise le français dans mes films, car il y a une dimension politique à le faire », assure encore Félix Dufour-Laperrière.
Pour lui, au cinéma, la langue représente « un ensemble ouvert, le ciment social, surtout en Amérique du Nord et particulièrement dans les communautés francophones en situation minoritaire et au Québec ».
Contactée, l’organisation du FIAO n’a pas répondu à la question de Francopresse à savoir si des réalisateurs et réalisatrices francophones hors Québec étaient en compétition et s’il est considéré comme important d’intégrer cette notion dans un festival basé à Ottawa.
La seule personne francophone de l’organisation n’a pas répondu à nos demandes d’entrevues, nous avons donc interagi en anglais.
« Ça nous distingue »
Originaire de France, Vivien Forsans étudie présentement en cinéma d’animation et théorie cinématographique à l’École de cinéma Mel Hoppenheim de l’Université Concordia, à Montréal. Le jeune homme de 23 ans a déjà cinq courts-métrages à son actif, projetés et récompensés dans plus de 30 festivals à travers le monde.
Arrivé au Canada en 2015, il précise que peu de ses films contiennent de l’anglais. C’est notamment le cas du titre de son court-métrage d’animation Coping, sorti en 2019.
« Je ne laisserais jamais le français de côté. Mais parfois, j’utilise l’anglais. En fait, j’utilise la langue la plus adaptée au contexte de mon film », indique-t-il.
Au même titre que Félix Dufour-Laperrière, il pense que la francophonie minoritaire dans le cinéma relève de la politique. Et de l’honnêteté.
« Mais généralement, mes films sont en français et je trouverais très étrange de les faire en anglais, presque malhonnête », appuie-t-il.
Félix Dufour-Laperrière est plus radical sur la question. Le Québécois se dit « en profond désaccord » avec cette volonté ne serait-ce que d’intégrer une notion d’anglais dans un film, même si à première vue « c’est plus facile pour les diffusions à l’international. Mais c’est une facilité condamnable. »
À la question de savoir si faire du cinéma en français au Canada est difficile, il répond : « Pas si on fait du cinéma d’auteur. Là, le public est peut-être plus restreint, mais aussi plus averti. Bref, utiliser la langue française, surtout au Canada, que ce soit au Québec ou dans d’autres provinces ou territoires, ça nous distingue. »
L’Office national du Film (ONF) a d’ailleurs répertorié les films qui « rendent hommage à la francophonie canadienne » dans son Espace francophonie.
Devoir d’archive par la langue
Pour son film Angakusajaujuq : The Shaman’s apprentice, Zacharias Kunuk a remporté cette année le Prix de la meilleure animation canadienne de l’Institut canadien du film (ICF) ainsi que celui de la meilleure narration au FIAO.
Le rapport à la langue du réalisateur demande un grand travail de documentation, car bien que l’inuktitut soit parfois enseigné dès la maternelle au Nunavut, celui-ci reste en danger.
Selon le dernier recensement de Statistique Canada, 36 185 personnes avaient l’Inuktitut pour langue maternelle en 2016 et 39 030 le parlaient à la maison.
Zacharias Kunuk explique qu’en plus de rendre son film authentique, la communauté étudiante inuite puisse voir, à travers ce film, comment certains mots se disent ; comment les hommes interpellent les chiens de traîneau [quimmiit en inuktitut] qui les transportent, etc.
En somme, le réalisateur rappelle que des us et coutumes inuits se transmettent principalement à travers le langage oral.
Son film raconte le chamanisme, une pratique ancestrale de la population inuite. Une jeune fille et sa grand-mère doivent aller sous terre pour sauver un chasseur malade et ainsi recourir au chamanisme. En vingt minutes, quête de soi, coutumes et langage se mêlent pour former une sorte d’archive de la culture inuite.
Un travail qu’effectue déjà Zacharias Kunuk à la tête d’Isuma TV, un « réseau multimédia interactif indépendant inuit et indigène », tel que défini sur son site Web. Un exercice essentiel pour que perdure sa langue, autant dans les cinémas que dans les foyers au Nunavut.
C’est pourquoi Zacharias Kunuk écrit sur le site d’Isuma TV que «[l]orsque j’ai commencé à me considérer comme un Autochtone et un cinéaste, j’ai appris qu’il y avait différentes façons de raconter la même histoire. Les habitants d’Igloolik ont appris en racontant qui nous étions et d’où nous venions pendant 4000 ans sans langue écrite. » (traduction libre)
C’est l’un des projets du réalisateur : enregistrer les histoires que les personnes ainées inuites ont à enseigner sur la culture, les coutumes de leur peuple.
Sur les quelques personnes qu’il est en train d’interviewer, déjà deux sont décédées. « Je ne peux pas me permettre de perdre de temps », assure-t-il.