Raconter son histoire à sa façon, c’est cette vision qui a guidé la Première Nation de Kwanlin Dün dans la création de son livre Kwanlin Dün Dǎ kwǎndur ghày ghakwadîndur : Our Stories in our Own Words, dans lequel sont racontées l’histoire, les rites, mais surtout la résilience de la communauté.
Le livre a été lancé en décembre et distribué gratuitement aux membres de la Première Nation de Kwanlin Dün. Dans une vidéo publiée lors du lancement, la cheffe Doris Bill réitère que le livre « documente les connaissances, la sagesse, le courage, la force et la résilience » de leurs ancêtres. « Ils se sont assuré que nos langues et notre culture survivent pour servir de guide, à nous aujourd’hui et à nos générations futures », a-t-elle ajouté. L’ouvrage est dédié aux ancêtres, mais également à la jeunesse, chargée de « porter la vision » des anciennes générations.
Divisé en six sections correspondant chacune à une période historique et à une saison, le livre passe en revue tous les enjeux, les changements et l’essor de la Première Nation, et ce, depuis un millénaire. Une place importante est accordée aux familles et aux rites ayant traversé le temps. Les « family focus » permettent également de reconstituer l’arbre généalogique et de voir comment les traditions et les connaissances se sont passées de génération en génération.
Ce travail colossal de collecte de témoignages, de recherche, d’écriture et de publication s’est échelonné sur dix ans, et a mis à contribution plus de 200 membres de la Première Nation.
Quand la culture documente
Tout au long de l’imposant livre, les rites et les poèmes des membres de la communauté représentent une source de documentation, et en guident même entièrement la première section : « Nous avons développé le premier chapitre de ce livre afin de rendre aux futures générations une source des histoires traditionnelles, dans chacune de nos langues », précise l’équipe de révision technique dans la préface.
Certains poèmes sont d’ailleurs très révélateurs des défis que la communauté a dû surmonter. Le chapitre 4, « Yúk’e Kwàch’e », soit « Le temps de l’hiver », propose des témoignages particulièrement sombres, caractéristiques de la période de 1940 à 1973. « Nous sommes devenus une minorité dans notre terre natale », souligne d’entrée de jeu l’introduction du chapitre. Puis, le poème de Sweeny Scurvey « Disturbing the Peace » décrit par exemple le changement radical survenu dans le camp paisible de sa famille lorsque la construction de la route de l’Alaska a débuté.
Ce chapitre difficile revient d’ailleurs sur les lois yukonaises restreignant l’accès aux territoires de chasse et de trappes dans le but de protéger les champs d’or et sur celles limitant la vente de viandes et de poissons sans licence officielle. La « friendly invasion » (l’invasion amicale), des soldats américains venus travailler à la construction des routes sur le territoire, a représenté un coup dur pour la Première Nation, qui n’a pas été consultée à ce sujet.Aussi, le trauma des pensionnats indiens se glisse dans plusieurs poèmes et témoignages.
L’avenir est une nouvelle saison
Le livre est également empreint d’espoir et met l’accent sur les membres de la communauté qui ont fait évoluer la Première Nation et ont contribué à son épanouissement. Le dernier chapitre montre comment la Première Nation s’organise désormais, et la place des jeunes dans ce cheminement. Le passage « Notre jeunesse s’élève » redonne d’ailleurs la parole à ces jeunes membres de la communauté, à leurs rêves et à leur désir commun de trouver des façons uniques de démontrer leur lien à leur culture.
L’ouvrage est l’une des phases du plan pour la préservation de l’héritage de la Première Nation. Celle-ci souhaite qu’il soit utilisé comme outil pédagogique. Les prochaines phases du plan visent à développer des outils et des ressources pour que l’histoire de la Première Nation de Kwanlin Dün ne sombre jamais dans l’oubli : « Nous racontons ces histoires pour que nous sachions et que tout le monde sache comment nous en sommes arrivés là où nous sommes aujourd’hui », affirme la cheffe Doris Bill.
Et c’est tout sauf un hasard si le livre se conclut avec cette phrase, lourde de sens : « Nous sommes toujours là. »