Frappé de plein fouet par les mesures de distanciation sociale, le domaine des arts et de la culture tente néanmoins de s’adapter à cette période incertaine.
Les artistes doivent redoubler de débrouillardise pour s’adapter à la perte de leurs revenus reliés aux concerts, expositions ou festivals, en plus de prouver l’importance de leur rôle dans la société.
Selon Lorène Charmetant et Brigitte Desjardins, il n’y a aucun doute : la série d’annulations des festivals, concerts ou cours de musique met en péril leur qualité de vie. « J’ai failli en perdre la tête », témoigne sans détour la musicienne traditionnelle Brigitte Desjardins. La batteuse attendait de pied ferme la saison haute de l’été pour participer à des festivals ou à des concerts, « mais tout est chamboulé maintenant ».
La technologie comme bouée de sauvetage
Pourtant loin de se laisser abattre par la situation, elle y voit plutôt un moment d’introspection et de questionnement. « J’utilise tout ce temps pour planifier mes prochaines activités, ce que j’ai envie de développer comme projet », souligne-t-elle. C’est une réflexion qui trouve écho avec celle de la chanteuse Lorène Charmetant. Elle estime que son métier d’artiste la motive « à continuer de m’accrocher et de m’empêcher d’angoisser ».
Par exemple, cette pause a permis à Brigitte Desjardins de planifier des cours de batterie avec ses élèves par l’entremise de visioconférences. « Tout le monde sait que je suis ‘’poche’’ avec la technologie, mais on doit s’adapter », affirme-t-elle avec le sourire en coin. Les efforts de cette démarche lui permettent de renflouer les coffres pendant qu’elle remplit des demandes de subvention.
Outre les artistes, les organismes culturels tentent eux aussi de se réinventer en plein cœur de la crise. La directrice générale de la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF), Marie-Christine Morin, reconnaît la créativité de ceux et celles qui développent des initiatives en ligne pour les artistes et le public. « L’épidémie nous force définitivement à nous renouveler et à nous réinventer», commente-t-elle d’entrée de jeu. «Plusieurs membres de notre réseau travaillent à présenter des initiatives virtuelles, comme à des prestations ou des ateliers de création en direct sur Facebook », cite la directrice générale en exemple.
Ces adaptations commencent déjà à se manifester dans les communautés. L’artiste en art visuel, Maya Rosenberg, enseigne le programme gratuit Kids Create organisé par le Centre des arts du Yukon. « Il peut y avoir près de 99 personnes sur Zoom [un logiciel de visioconférence] en train de peindre en famille », se réjouit-elle.
Ces nouvelles idées représentent un bon début, soutient la directrice générale de la FCCF, Marie-Christine Morin. Toutefois, beaucoup de chemin reste à faire pour assurer la pérennité de ce milieu « plus particulièrement touché ». La Fédération culturelle canadienne-française planche actuellement avec ses partenaires à trouver des avenues de secours pour combler tous les besoins, mais comme l’indique sa directrice générale, « je pense qu’on va en garder des marques […] j’espère seulement que les blessures ne seront pas trop profondes ».
Un rapport intrinsèque
Le caractère anxiogène de cette crise soulève le rôle crucial de la culture dans la société. « Les arts nous permettent de nous reconnecter avec ce qui nous fait du bien », expose Marie-Christine Morin. Au-delà du plaisir à voir une œuvre, il s’agit aussi de passer du temps de qualité avec les personnes qui nous sont chères, autour d’une pièce de théâtre ou d’une activité, raconte la directrice générale. « Je fais des ateliers en ligne avec mon enfant […], c’est quelque chose de familier en l’absence de normalité. On a besoin de ce baume. »
Chez les artistes, ce moment est aussi un moyen de se reconnecter avec leur auditoire, ou même leurs élèves. « J’ai été surprise de m’ennuyer de mes élèves [quand les mesures de distanciation ont été mises en place], ça m’a soulagée de les voir sur Zoom », reconnaît Brigitte Desjardins. Pour Maya Rosenberg, ce contact avec les jeunes est ce qui la pousse à traverser cette période. La professeure de peinture affirme que le simple fait de voir les gens s’adonner avec plaisir à son atelier renforce son désir d’enseigner. « La communauté ne réalise pas toujours que la gentillesse suffit à apporter un peu plus de couleur à ma journée », fait-elle valoir. Brigitte Desjardins illustre le rapport intrinsèque entre l’artiste et sa communauté avec philosophie. « Si j’arrête tout, je n’ai plus de sens. J’ai besoin de la communauté pour confirmer mon identité et m’exprimer dans le monde. »
Ce remue-ménage identitaire et social peut même être tourné à son avantage, croit Mme Desjardins. « Je ressens des émotions que je dois canaliser, et comment canaliser le tout? En écrivant une chanson! », conclut-elle avec entrain.
Lorène Charmetant et Brigitte Desjardins ont présenté une prestation en ligne de leur salon pour un concert virtuel organisé par l’Association franco-yukonnaise. L’organisme proposera deux autres concerts en ligne les 23 avril et 7 mai prochain. De bonnes occasions d’inviter des artistes franco-yukonnais dans votre salon!