En janvier dernier, 2019 a été proclamé l’Année internationale des langues autochtones par l’Organisation des Nations Unies (ONU). L’objectif : accroître la sensibilisation et encourager les actions de promotion et de protection des langues autochtones dans le monde. En partenariat avec la Première Nation des Gwitchin Vuntut, le théâtre Gwaandak a saisi cette occasion pour célébrer les langues autochtones du Yukon en créant cinq pièces radiophoniques inspirées d’histoires racontées à Old Crow.
Des pièces en langue gwich’in et en anglais
Dirigées par Reneltta Arluk et Patti Flather, les pièces radiophoniques ont été enregistrées à Old Crow. C’est d’ailleurs dans cette communauté du nord du Yukon qu’elles ont été diffusées pour la première fois le 28 février dernier. Les résidents de la région de Whitehorse vont à présent pouvoir les découvrir dans une série de lectures intitulée Ndoo Tr’eedyaa Gogwaandak Forward Together, Vuntut Gwitchin Stories, proposée au Old Fire Hall. Les lectures se dérouleront les 28, 29 et 30 mars prochains.
Au cours des trois dernières années, des dramaturges ont collaboré avec des conteurs aînés des Premières Nations et d’autres membres de ces communautés tels que Stephen Frost, Robert Bruce Jr, Florence Netro et Bertha Frost. Les récits racontés par feu Sarah Abel, feu Richard Martin et Stephen Frost ont été adaptés en textes, eux-mêmes transformés en pièces radiophoniques par une équipe de rédaction dont faisaient partie Leonard Linklater et Patti Flather. « Au Yukon comme ailleurs, les langues autochtones sont en danger », explique Leonard Linklater, lui-même membre de la nation gwitchin. « Les langues autochtones au Yukon ne sont pas “en santé”. Elles ne sont pas beaucoup utilisées entre les différentes générations par exemple. »
Les pièces radiophoniques, enregistrées et produites à Old Crow, incluent : Vah Srigwehdli ’ (gwich’in), Tl’oo Thał/Pantalon Grass (gwich’in et anglais), The Blue Cruiser de Leonard Linklater (anglais) et Two Old Women and the Bushman de Dennis Allen (anglais). Les créateurs ont fait le choix délibéré d’inclure à la fois la langue gwich’in et l’anglais pour ces présentations. Patti Flather explique : « Tout le monde ne parle pas le gwich’in couramment, même au sein de la nation gwitchin. À travers la colonisation et les génocides, la connaissance des langues autochtones a été grandement perdue. De plus, certains sujets abordés dans les pièces peuvent être sensibles. Nous avons voulu nous assurer que tout le monde puisse comprendre les histoires, même sans parler couramment la langue. »
Par ailleurs, Leonard Linklater ajoute que si les nouvelles générations ne parlent pas beaucoup les langues autochtones, les récits font partie intégrante de la culture transmise par la langue. « Tout comme pour le français, les langues autochtones vont au-delà des mots. Ces récits font partie de notre patrimoine, ils nous ont été contés initialement par des aînés, en langue gwich’in. C’est très important, mais ils ne sont pas accessibles aux personnes qui ne parlent pas cette langue. Avoir accès aux histoires, c’est avoir accès à la culture », explique-t-il. Au-delà de la sauvegarde de la langue, ces lectures représentent surtout un projet de revitalisation culturelle. « L’objectif derrière ce projet est aussi de transmettre une culture qui existe depuis des générations et des générations : l’Histoire, la connexion à la Terre et aux animaux », conclut M. Linklater.
Le théâtre Gwaandak prépare également un livret illustré pour accompagner les pièces radiophoniques. Ce livret et les enregistrements devraient être distribués dans le courant de l’année 2019 aux radios, aux écoles, aux communautés des Premières Nations ainsi qu’au grand public. « Dans le futur, nous aimerions également créer des partenariats avec d’autres communautés et traduire ou créer des pièces dans d’autres langues autochtones », ajoute Patti Flather.
Année internationale des langues autochtones
Au Canada, il existe encore plus de 70 langues autochtones, dont les deux tiers seraient déjà considérés comme menacés. Selon l’ONU, il est important de sensibiliser les gens sur les « risques critiques » qui touchent les langues autochtones de la planète.
L’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) prévoit que la moitié des 6000 langues connues sur la planète aura disparu d’ici la fin du siècle si rien n’est fait pour les préserver. Au Canada, quelques langues sont déjà en voie d’extinction : l’haïda en Colombie-Britannique ou l’abénaquis au Québec. Selon le dernier recensement de 2016, le nombre d’Autochtones se disant en mesure de tenir une conversation de base dans leur langue s’élève à 260 000. Cela représente une baisse de 6 % en 10 ans.
En décembre dernier, les députés de tous les partis fédéraux ont accepté qu’un service d’interprétation soit offert aux élus de la Chambre des communes qui souhaitent s’exprimer dans l’une des 70 langues autochtones parlées au pays. Robert Falcon-Ouellette, député libéral de Winnipeg-Centre, a été le premier à faire un discours en langue autochtone devant les parlementaires, le 28 janvier. « Le premier jour où c’était permis, je ne voulais pas attendre », a-t-il déclaré.
L’Année internationale des langues autochtones sera donc l’occasion pour plusieurs communautés de faire entendre leur voix.