« Les communautés linguistiques en situation minoritaire ont énormément de choses à apporter au monde par rapport à leur expérience de minorité. »

Anne-Céline Genevois sera présente lors de la première projection en sol yukonnais de son documentaire Intimités francophones d’eux, le 8 mars 2019.
Photo : Yann Jobin
Le 8 mars 2019, le documentaire Intimités francophones d’eux sera présenté pour la première fois à Whitehorse, au Centre de la francophonie, dans le cadre des Rendez-vous de la Francophonie. Marie-Hélène Comeau, coordinatrice du volet yukonnais de la Caravane des dix mots, est l’instigatrice de cette soirée. Le documentaire de 75 minutes explore les différentes facettes de la francophonie sur tout le continent américain.
Sa réalisatrice, Anne-Céline Genevois, a accepté de répondre aux questions de l’Aurore boréale et nous dévoile ici sa propre perception de la francophonie.
Aurore boréale : Pourquoi la francophonie est-elle un sujet qui vous tient à cœur?
Anne-Céline Genevois : J’ai appris à aimer ce sujet et à le comprendre, mais ce n’était pas gagné. Je suis originaire de la France et je n’avais pas du tout conscience que ma langue était constitutive de mon identité. Pour moi, c’était un acquis, car j’étais issue d’une majorité linguistique et je ne me posais pas de questions par rapport à la représentation de ma culture à travers ma langue. Je n’avais pas conscience de la notion de droit à la langue ou que ma langue construisait ma vision du monde.
En 2004, j’ai réalisé un stage dans le cadre de mes études universitaires à la Direction régionale des affaires culturelles de la région Rhône-Alpes en France. J’ai effectué mon stage avec Michel Kneubühler, conseiller aux communications, à la langue française et aux langues de France. À cette époque, le ministère avait mis sur pied une manifestation, soit la Semaine de la langue française. Mon responsable de stage m’avait dit : « Cette Semaine de la langue française en France, c’est comme proposer une Semaine de l’eau au peuple des poissons! » Cette expression m’a beaucoup amusée et c’est là que tout a commencé.
La même année, j’ai rencontré Thierry Auzer, le fondateur de la Caravane des dix mots. Puis, après ma maîtrise que j’ai réalisée sur ce sujet, j’ai commencé à travailler en 2006 sur le projet de la Caravane qui a, on peut le dire, changé ma vie!
Ce projet m’a passionnée et m’a donné les clefs pour découvrir la francophonie. En 2009, je me suis installée au Québec et j’ai poursuivi ce travail avec la Caravane et sur la langue à travers la réalisation des films Intimités francophones. Pour moi, la langue française est un outil pour aller à la rencontre des autres langues et cultures. J’ai découvert qu’il y avait des langues françaises. Puis, j’ai découvert la richesse que peuvent apporter au monde les peuples qui vivent des situations linguistiques minoritaires. La langue est ce que nous avons de plus intime, c’est avec ma langue que je me raconte, qu’on apprend à me connaître. La langue revendique, déracine, conquiert et s’approprie. Parler une langue est un acte politique en soi. Ainsi, toute langue raconte une histoire qui est nécessairement importante et intéressante.
A.B. : Quel accueil a reçu votre projet auprès des Premières Nations? Quelles nations avez-vous filmées?
A.-C.G. : Cette question est intéressante. Par contre, notre rencontre avec la Nation crie de Kehewin était un hasard et malheureusement, ses habitants n’ont pas encore vu le film. Nous avons vécu pendant le tournage, au sens propre, ce que j’expliquais plus haut, soit que la langue est une passerelle vers les autres langues et cultures.
Lors de notre passage à Bonnyville en Alberta, nous avons fait la connaissance de Réal Girard, un Franco-Albertain très intéressant qui a participé au film. À plusieurs reprises, Réal nous disait : « Il faut absolument que je vous présente mon ami Rodney John de la Nation crie de Kehewin. » Réal était en cours d’apprentissage de la langue crie et connaissait donc très bien les gens de Kehewin.
Ce n’était pas vraiment prévu dans notre horaire, et j’avoue qu’au début nous nous sommes interrogés si nous devions le faire ou non. Rodney parle anglais et le documentaire est en français. Même si, évidemment, la langue peut servir de passerelle, on ne savait pas si cela avait du sens d’inclure des locuteurs anglophones dans le film, mais on a finalement accepté de le rencontrer. Nous nous sommes rendus avec Réal à Kehewin pour interviewer Rodney en pensant passer deux heures là-bas. Finalement, nous sommes restés trois jours. C’est une des rencontres les plus extraordinaires que j’ai faites dans ma vie. Je les remercie énormément pour leur accueil et leur partage. Ils nous ont raconté ce qu’ils ont vécu par rapport à leur langue ancestrale, la langue crie. C’était très intéressant et ça correspondait exactement à l’intention qu’on souhaitait donner au film.
A.B. : Pourquoi avez-vous choisi de terminer votre documentaire au Brésil?
A.-C.G. : Parce qu’il s’agit d’un documentaire sur la francophonie des Amériques. Le concept d’Amérique est plus large qu’on ne le perçoit. Au premier abord, cela comprend l’Amérique du Nord, l’Amérique du Sud, l’Amérique centrale et l’espace des Caraïbes. Ce film est le deuxième d’une série que nous avons réalisée en partenariat avec le Centre de la francophonie des Amériques dans le but de mieux faire connaître les enjeux et les identités des francophones des Amériques. À travers ce documentaire, nous avons souhaité mieux comprendre les réalités des francophones des Amériques et les faire connaître dans le reste de la francophonie. Le Brésil a un grand attachement à la langue française, et c’est intéressant de voir comment les jeunes francophones l’abordent aujourd’hui.
Pour moi, le concept de « francophile » n’existe pas vraiment. À partir du moment où tu t’appropries une langue, elle devient tienne. Ainsi, avec la langue française, tu fais donc partie de la francophonie : tu es francophone, tu participes à l’enrichissement de cette langue, tu racontes dans cette langue ton histoire et tu racontes les autres langues que tu connais. La langue appartient à ceux qui la parlent.