C’est avec une humilité noble et désarmante, avec une honnêteté belle et simple qu’Oliver Jones répond aux questions à l’autre bout du fil. Il explique avec une candeur et une joie d’enfant son plaisir d’avoir été musicien pendant plus de sept décennies : « En 75 ans de carrière, j’ai eu beaucoup de plaisir. Je ne m’attendais pas à faire cinq ou six fois le tour du monde et à une carrière comme celle-là, surtout dans le jazz. »
Oliver Jones donnera un concert à Whitehorse au Centre des arts du Yukon le 26 juin. C’est sa dernière tournée avant une retraite bien méritée. « Il ne me reste qu’une trentaine de concerts. Cette année, il y aura, entre autres, Rio de Janeiro, le Japon… et mon dernier concert aura lieu sur l’île de Barbade le 12 janvier, là où sont nés mes parents », confie-t-il.
En 2000, à l’âge de 65 ans, Oliver Jones voyant ses amis commencer à partir de plus en plus en vacances, décide de prendre sa retraite, tentative de courte durée. Après seulement quatre ans et demi, la scène jazz le réclame et le rappelle, et particulièrement lors du 25e anniversaire du Festival international de jazz de Montréal en 2004.
Depuis, il joue avec ses deux comparses et amis, le batteur Jim Doxas et le contrebassiste Eric Lagacé. C’est entouré de ces talents incontournables de la scène jazz canadienne qu’Olivier Jones viendra à Whitehorse, pour la deuxième fois de sa carrière. Ils joueront ensemble des pièces originales, des standards, et toujours cinq ou six morceaux d’Oscar Peterson, l’homme qui lui a légué sa fougue et son sens du swing. « Et nous laissons toujours de la place dans la deuxième partie du concert pour les demandes du public », explique l’enfant du jazz. Eh oui, quelle générosité!
Une vie de musique
Né le 11 septembre 1934 de parents d’origine barbadienne, Oliver Jones grandit dans le même quartier montréalais que son ami et mentor Oscar Peterson. Il étudie dès le plus jeune âge le piano classique avec Daisy Peterson, la sœur d’Oscar.
Enfant prodige, Jones a tout juste cinq ans lorsqu’il s’assied au piano de l’église. Il avait commencé à toucher le clavier à deux ans et demi, et à neuf ans, il monte régulièrement sur les planches. Tout en poursuivant ses études musicales classiques, il écume les boîtes de Montréal et des alentours.
Au début des années 1960, Jones met les voiles et part s’installer à Porto Rico où il devient le directeur musical d’un orchestre de variété : le Kenny Hamilton Show Band. Pendant une quinzaine d’années, il tournera avec cet orchestre en Amérique et en Europe. Puis, insatiable, Jones commence alors à s’intéresser au jazz de plus près, il assiste à des concerts et rencontre des musiciens américains avec qui il joue à l’occasion.
Sa carrière prend un virage en 1980 lorsqu’il revient s’établir à Montréal. Le contrebassiste Charles Biddle, avec qui il joue régulièrement, nomme Oliver Jones le pianiste attitré de sa boîte dès 1981. Chez Biddle’s, piano et contrebasse conversent amicalement pour le plus grand plaisir de la clientèle. La même année, le pianiste fait ses débuts au Festival international de jazz de Montréal. Il en deviendra l’un des plus illustres ambassadeurs, et il y prend encore part presque chaque année.
En 1982, Jones s’essaye pour une première fois à ce qui deviendra sa formule de prédilection : le trio, et plus exactement le trio « piano, basse, batterie ». Un mot-valise qui est presque une expression en soi, une formule légendaire dans le monde du jazz, et pour n’en nommer que certains : les trios de Bill Evans, Keith Jarret, Brad Mehldau, Ahmad Jamal, Duke Ellington, Kenny Baron, et tant d’autres…
Entretien avec Oliver Jones
AB. : Vous rappelez-vous d’un moment plus spécial qu’un autre dans votre carrière?
OJ. : Oui, bien sûr, plein de moments de plaisir, mais particulièrement ce concert en 2004 avec Oscar Peterson lors du 25eanniversaire du Festival international de Montréal.
AB. : D’où vient votre inspiration pour vos compositions?
OJ. : Mon inspiration vient surtout des gens qui sont autour de moi ou que j’ai rencontrés, comme les enfants de mes amis, « Lorraine », « Yvonne », ou cette chanson que j’ai appelée « Something for Chuck ». C’est souvent comme un mémorial, pour se souvenir.
AB. : Quelles sont vos prédictions pour l’avenir du jazz
OJ. : Le jazz va continuer, bien sûr. Ce qui est important c’est que les jeunes musiciens n’oublient jamais les grands noms de ceux qui ont commencé cette musique. C’est normal que tous les 10 ou 15 ans on change de direction. Les grands innovateurs comme Bill Evans, Dave Brubeck, Miles Davis, Louis Armstrong, Art Tatum, Charlie Parker… n’ont pas toujours été compris sur le moment, et après deux ou trois ans, on voyait les jeunes musiciens faire exactement comme eux.
AB. : Avez-vous des projets pour votre retraite?
OJ. : J’espère que je vais pouvoir faire de la promotion et de la publicité pour la relève des jeunes musiciens canadiens. J’ai vu trop de jeunes musiciens lâcher la musique, car c’était trop dur de trouver du travail.
AB. : Quel message auriez-vous à donner pour ces jeunes musiciens et musiciennes de jazz?
OJ. : C’est surtout de ne pas lâcher, et de prendre le temps d’écouter des styles différents. C’est important de comprendre le musicien ou la musicienne que l’on écoute.
AB. : Quelle est votre définition personnelle de ce qu’est la musique?
OJ. : C’est la paix, une expression très profonde. Quand j’étais jeune, j’étais un enfant très gêné, le seul moment confortable, c’était quand j’étais assis au piano, c’était un refuge, où je me sentais égal aux autres.
En concert au Centre des arts du Yukon le 26 juin à 19 h 30. Billets disponibles sur yukontickets.com (40 $)