Olivier de Colombel
Poétique et intensément physique, la pièce Paradise nous parle de quatre personnages, quatre destinées touchantes et chaotiques qui s’entrecroisent, un bûcheron avec « une guerre dans la tête », un jeune Canadien accusé de terrorisme, un médecin de famille en pleine séparation avec sa femme, et sa fille partie en voyage au bout du monde, tous sont à la recherche de leur humanité à l’intérieur d’un système oppressant.
Ce projet est né d’une rencontre en février 2014 entre deux compagnies de théâtre canadiennes, Gwandaak Theater et MT Space, et plus particulièrement entre les fondateurs de ces deux compagnies, Patti Flather et Majdi Bou-Matar.
Patti explique le titre : « Paradise vient d’une scène dans laquelle Rachel et son ami d’enfance Khalil nous montrent ce monde merveilleux qu’ils ont ensemble pour jouer, un monde d’amitié et d’amour. Et comme des enfants, ils créent un paradis. »
Dès que le rideau se lève, on comprend que ce paradis est fragile. L’auteur précise : « À un moment différent de leur vie, ce que vivent les personnages n’est pas un paradis du tout. J’ai donc essayé de créer des temps où chaque personnage vit un moment de paradis, en montrant que cela est différent pour tout le monde. »
Sans savoir toujours à qui les personnages s’adressent, le fil des dialogues est parfois syncopé et toujours très rythmique. Patti explique que « … bien souvent, les personnages sont déconnectés les uns des autres dans la pièce, ils sont seuls, ils n’ont pas de forte communauté autour d’eux. J’ai exploré comment ces connexions et ce sens de la communauté sont des choses importantes pour les êtres humains. »
Patti Flather a fondé Gwaandak Theatre avec Leonard Linklater au Yukon en 1999 pour partager sur scène des histoires autochtones, des histoires du Nord. Sa dernière pièce Paradise est, nous confie-t-elle, « ce que je propose à la communauté à propos d’où est la beauté en ce monde? Ce n’est pas une pièce en noir et blanc, il n’y a pas de réponses simples. »
La mise en scène est audacieuse et est basée essentiellement sur l’interaction des corps, des émotions et des histoires qui se croisent, se frôlent ou s’entrechoquent.
Majdi Bou-Matar est metteur en scène et interprète, il a immigré du Liban au Canada en 2003. En 2004, il fonde MT Space, un espace de théâtre multiculturel qui accueille, entre autres, le festival international de théâtre IMPACT.
Il décrit le théâtre comme « une médiation très fertile pour créer et construire la communauté. » Majdiest un habitué du théâtre engagé, il est parti en Jordanie avec MT Space pour faire des recherches de terrain sur les attentats du 9 novembre 2005. Il explique : « Oui, nous faisons ce que l’on appelle du théâtre communautaire engagé, c’est ce qui donne un sens à notre travail, si nous ne sommes pas là pour nous poser la question, qui s’en soucie? Il vaut mieux faire autre chose que du théâtre. » Et il ajoute : « Je crois que le théâtre doit être divertissant, c’est important, mais qui a dit que le divertissement ne peut pas être pertinent? »
La création sonore est signée Jordy Walker, talentueux compositeur et producteur. La musique, puissante et évocatrice, souligne les contours des tableaux qui se suivent et éclaire la pièce de ses nombreuses influences, du jazz à la musique du Moyen-Orient, à l’image des différentes origines des personnages. C’est un voyage.