Pierre-Luc Lafrance
Avec la compagnie de théâtre Open Pit Theater, Geneviève Doyon s’est lancée dans un projet à mi-chemin entre le journalisme, le théâtre et l’étude sociologique avec Verbatim. Nous avons rencontré la jeune femme pour qu’elle nous parle de cette aventure.
Avec Verbatim, Geneviève Doyon a parcouru le territoire avec son micro pour aller à la rencontre des gens et faire des entrevues. Ensuite, chaque entrevue est retranscrite et l’objectif est de faire une pièce de théâtre avec ce matériel de base. « On cherchait un projet de théâtre qui impliquerait la communauté de manière différente. On souhaitait interpeller le monde et trouver une formule stimulante au niveau artistique pour nous sans tomber dans l’expérimental qui ne rejoint personne. » Cela va avec la façon de travailler d’Open Pit Theater qui se veut un théâtre de création où chaque projet a sa propre façon de travailler.
« On a eu le financement du Yukon et du Canada pour financer la phase 1. L’objectif est de rencon- trer une centaine de personnes. Pour le moment, j’ai effectué 50 entrevues. Le plus jeune a quatre ans et le plus vieux 96 ans. » Pour mener à bien ce projet, elle travaille avec un mentor, Joel Bernbaum, quelqu’un qui a de l’expérience autant en théâtre qu’en journalisme et qui a développé une maîtrise dans l’art du verbatim.
Mémoire collective
« Chacune des entrevues se fait sur le rapport au Yukon, autant comme chez-soi que le rapport à la terre – Yukon home and land en anglais. On se rend compte que le rapport au territoire est très varié. Les gens sont ici pour toutes sortes de raison. En fait, c’est un peu un travail de mémoire collective. Ce n’est pas juste moi qui fais son petit projet. C’est tellement satisfaisant de faire quelque chose de plus grand que soi. »
Les entrevues ont commencé en juin et maintenant que Mme Doyon a amassé suffisamment de matériel, elle a entrepris l’écriture de la pièce. « En fait, je me sens plus comme un monteur que comme un auteur. Je ne crée pas de personnages en mêlant les propos d’une personne avec ceux d’un autre. » En effet, si elle va sélectionner certains passages des entrevues de chacun, chaque personnage de la pièce va correspondre à une personne réelle. L’intérêt de la chose est de mettre en scène des gens qui, dans la vraie vie, ne se seraient jamais rencontrés et leurs propos vont se rejoindre, se répondre et des fois s’opposer.
Des auditions
Le 4 mars, il y aura une audition à 17 h 30 au Centre de la francophonie. On cherche cinq acteurs pour faire la lecture de la première version de la pièce. Chaque lecteur aura différents chapeaux pour porter la voix des différents personnages. « Il y a quelques personnages principaux qu’on va suivre dans la pièce, mais il y a une multitude de personnages secondaires qu’on va entendre à un moment ou un autre. » À noter que la pièce sera présentée en anglais seulement, même si l’auteur envisageait au début un projet bilingue et qu’elle a interrogé des francophones lors de ses entrevues.
L’auteur a déjà fait quelques lectures en privé avec des amis acteurs, et elle a réalisé que même sans imiter d’accent, les acteurs laissent paraître l’accent de l’individu qui a tenu le discours. « On écrit avec les imperfections et les hésitations dans le discours des gens. Pour un auteur, c’est ce qui est le plus dur à écrire et cela donne du rythme aux personnages. »
La suite
Il y aura deux représentations à la fin du mois, le 28 mars à 20 h et le 29 mars à 14 h au Old Fire Hall. Cela mettra fin à la phase 1 du projet. « Ce sera une occasion de voir ce qui fonctionne moins bien et de voir comment enligner la phase 2. On va aussi inviter les gens qu’on a eus en entrevue afin qu’ils puissent voir (sic) leurs mots sur scène. J’ai été claire avec les gens que j’ai rencontrés : leurs mots ne m’appartiennent pas et ils peuvent les reprendre. Mon but, ce n’est pas qu’ils se sentent mal à l’aise. »
Ensuite, l’auteure va se lancer dans une deuxième phase d’entrevues afin d’approfondir certains aspects. « Je veux aussi aller dans certaines communautés où je ne me suis pas encore rendue comme Mayo, Faro et Pelly Crossing. » Après, ce sera une nouvelle phase d’écriture et de montage. « J’espère être prête pour une production avec décors, lumières et musique en 2016. »
Pour l’auteure, il s’agit d’un projet enrichissant qui lui permet de découvrir sa communauté. « Ça prend plus de temps que je l’avais prévu, pourtant, j’avais prévu beaucoup de temps. Mais les entrevues vont bien. Certaines ont duré jusqu’à cinq heures. »
Le but pour la pièce : faire une tournée dans toutes les communautés où elle a fait des entrevues. « Il faut prévoir quelque chose de facile à amener en tournée, car certains endroits n’ont pas de théâtre. »