Christopher Scott
En salle au Québec depuis 2013, le documentaire Québékoisie des réalisateurs Mélanie Carrier et Olivier Higgins, a été projeté le soir du 12 novembre, à Dawson, devant un public restreint, mais attentif.

Québékoisie a été présenté à Dawson par l’Association des arts et de la culture du Klondike (KIAC), en collaboration avec l’AFY. Il est disponible en version originale française, avec sous-titres en anglais. Photo : fournie.
Partant du constat que bon nombre de Québécois ignorent jusqu’à l’existence des populations et des langues autochtones sur leur territoire, le film suit le périple du couple dans la trentaine qui parcourt, dès l’été 2011, la distance entre Québec et la Basse-Côte-Nord à vélo dans le but de mieux saisir les réalités des 100 000 membres des Premières nations de la province. C’est un défi louable, mais qui ne sera malheureusement relevé qu’à moitié.
En effet, si la force du documentaire réside dans ses superbes prises de vue et le caractère de certains personnages interviewés, il bifurque rapidement dans de multiples directions et bascule trop souvent vers des lieux communs.
Certains récits recelés à l’intérieur des quatre-vingts minutes sont indéniablement puissants. On pense au cheminement de Francine LeMay, cette sœur du caporal LeMay, tué lors du siège d’Oka en 1990, qui se charge d’apprendre à connaître les Mohawks et entreprend de traduire bénévolement un livre relatant leur histoire afin de faire mieux apprécier celle-ci. Le documentaire doit aussi beaucoup aux interventions de deux excellents commentateurs, soit Serge Bouchard, anthropologue, et Pierrot Ross-Tremblay, sociologue innu, qui ponctuent la narration de leurs analyses, explosant au passage quelques « mythes fondateurs » de la Nation québécoise. Dans les paroles de Serge Bouchard : « Lorsque Cartier arrive en 1534, il y a plein de bateaux partout. Il ne “découvre” rien. »
Néanmoins, les réalisateurs semblent fonctionner sur la prémisse que si les « deux solitudes » des blancs et autochtones apprennent seulement à mieux se connaître, en laissant de côté quelques idées reçues, l’harmonie s’ensuivra. Les injustices, lorsqu’elles sont évoquées, sont celles du passé (création des réserves, écoles résidentielles), pas du présent. Filmé en grande partie dans les communautés innues, le documentaire ignore entièrement les revendications territoriales de celles-ci, et on nous régale plutôt d’images folkloriques (pow-wow, église, salles de bingo…).
Or, aux yeux de cet auteur, qui n’est pas désintéressé pour avoir vécu et travaillé avec des Innus sur la Côte-Nord à cette même période, cette vision apolitique est trop facile. Si l’on se désole de l’effritement des mœurs et des langues autochtones, il faut constater, comme le fait le sociologue Pierrot Ross-Tremblay, le lien intrinsèque que celles-ci ont avec un territoire ancestral.
« L’accès à la mémoire culturelle devient de plus en plus difficile, » s’exprime le sociologue dans le film, « comme l’accès au territoire aussi avec les développements majeurs qui se font. Alors, ça va de pair. Territoire et culture, c’est […] lié. »
Pour extrapoler un peu, nombreux sont les observateurs qui voient dans les comportements dysfonctionnels qu’on peut observer dans des réserves des symptômes psychologiques d’une perte d’autonomie.
Rappelons qu’en 2011, moment où ce film a été tourné, le gouvernement provincial de l’époque venait d’annoncer son ambitieux « Plan Nord » devant se traduire par l’accélération de l’extraction des ressources naturelles, et que dans le cadre de ce plan, les Autochtones étaient présentés comme des « partenaires » dans le développement, sans pour autant qu’on cherche leur consentement ou reconnaisse leur droit de veto sur des projets ponctuels.
Or, une culture peut-elle s’épanouir si elle n’a pas le contrôle effectif sur ce qui arrive sur ton territoire?
Mais même si les réalisateurs ont opté pour inclure quelques séquences de wagons de train chargés de bois rond sortant du Grand Nord, comme pour insinuer qu’ils sont conscients de ces enjeux, ils préfèrent ne pas les aborder de front.
Ils mettent plutôt l’accent sur quelques « bons » individus dynamiques – qui sont réellement inspirants – (ex. la jeune Innue qui veut étudier le droit pour aider son peuple), comme pour sous-entendre que c’est aux Autochtones de se redresser, en « changeant d’attitude », que tout va pour le mieux, et qu’il ne revient pas à la société blanche de repenser fondamentalement ses rapports de pouvoir envers l’autre dans un souci de justice.
Et c’est là la principale lacune d’une œuvre qui est manifestement inspirée par de bonnes intentions.