Sylvie Binette
Myth and Medium, c’est la célébration et l’exploration d’histoires racontées à travers le patrimoine, la culture et les arts, lors d’une conférence organisée par le Département du patrimoine de la Première nation Tr’ondëk Hwëch’in (TH) de Dawson.
Cet événement se veut une plateforme où se rencontrent professionnels, artistes et citoyens qui œuvrent dans ces trois domaines, ou pour qui le sujet évoque une flamme, une raison d’être et surtout le désir de transmettre un savoir-faire, une langue et une culture. Différents lieux culturels ont ouvert leurs portes afin d’accueillir l’événement dont, entre autres, le Centre culturel Dänojà Zho, le Yukon School of Visual Arts (SOVA) et le Centre communautaire de la Première nation TH.
C’est donc du 24 au 28 février que j’ai eu la chance de participer à la deuxième édition de Myth and Medium et de sentir le souffle de revitalisation culturelle qui renaît à travers les différentes communautés autochtones.
La semaine a commencé par une présentation de Ken Lister, curateur au Royal Ontario Museum, de ce qu’ont vraiment révélé les toiles de l’artiste peintre Paul Kane (1810 à 1871), reconnu pour avoir documenté le patrimoine naturel et culturel du Canada et pour avoir été un des pères fondateurs de l’art canadien. C’est avec l’aide de technologie comme la réflectographie infrarouge que M. Lister et son équipe ont pu étudier les toiles de M. Kane, et démontrer que les premiers coups de pinceaux de ce dernier dénotaient de l’information ethnographique, mais qu’en chemin une certaine métamorphose s’y est établie, pour des raisons qui nous sont encore inconnues. M. Lister nous a aussi entretenus d’un autre sujet : le kayak. C’est avec les mots et les descriptifs à la lueur de Magritte et de sa pipe qu’on apprend par Andrew Oyukuluk, un aîné Inuit, que le kayak que vous et moi connaissons aujourd’hui n’est pas un kayak! La raison est simple : les matériaux, le savoir-faire et le patrimoine liés au kayak traditionnel utilisé par les Inuits n’ont rien à voir avec le kayak en fibre de verre confectionné en industrie.
Le centre culturel a ouvert ses portes à plusieurs artistes. Dennis Shorty, artiste-sculpteur et musicien de la nation Kaska de Ross River, nous a chanté et raconté son parcours sur le chemin de la guérison à travers sa quête en tant qu’artiste. Ukjese Van Kampen, artiste-peintre et professeur en histoire de l’art nous a entretenus des motifs de l’art traditionnel au Yukon et des histoires que ces derniers peuvent révéler. C’est avec Ukjese que certaines d’entre nous, dont moi la chanceuse, ont pu mettre en pratique sur canevas ces enseignements, lors d’un atelier de peinture. Puis Mathew Nuqingaq, artiste multidisciplinaire d’origine inuite, a partagé avec nous sa quête artistique, dont l’importance des traditions inuites, et ce, à l’aide de son tambour, d’une danse et de beaucoup d’humour.
Pour clôturer la première soirée, nous avons eu droit au lancement de la deuxième édition du livre Hammerstones: A History of the Tr’ondëk Hwëch’in. C’est un moment magique que de pouvoir participer à un événement où Aînés, professionnels du secteur et membres de la communauté célèbrent ensemble le fruit de leurs labeurs, et où l’on sent que la communauté est au cœur de l’histoire et non que l’histoire leur est racontée.
La semaine s’est poursuivie par une table ronde autour d’un feu, ou plutôt autour d’une installation parmi laquelle quelques bûches, un ventilateur, des lumières et du tissu virevoltait, nous rappelant la flamme d’un feu qui brûle en nous tous. Le feu occupe une place importante chez les Autochtones et chez beaucoup d’autres peuples indigènes. Le feu est l’essence même de la vie, sa flamme nous donne la vie. Le feu nous réchauffe, nous protège, autant qu’il nettoie et renouvelle. Nous voilà donc tous assis autour du feu à partager nos différentes initiatives, que ce soit un projet d’histoire orale comme celui qui raconte l’impact de l’ouverture et de la fermeture de la mine de Keno sur le peuple de la Première nation Na-Cho Nyak Dün, un projet de mise en valeur des sentiers traditionnels des Vuntut Gwitchin d’Old Crow, un projet d’enseignement de la langue maternelle dans les écoles primaires, ou encore un projet d’éducation expérientielle avec les étudiants du secondaire de Dawson comme la première excursion de chasse ou de pêche vécue à travers des notions de biologie, de transmission du savoir et des valeurs traditionnelles et de la langue maternelle.
Tandis qu’on baignait dans des notions de patrimoine vivant et immatériel, voici que Ken Coates, historien et auteur de nombreux ouvrages sur les peuples autochtones du Canada, nous a présenté les valeurs et les thèmes de la vallée de la rivière Klondike qui seront énoncés lors de sa soumission comme site du patrimoine mondial à l’Organisation des Nations Unies (UNESCO). Cette soumission devrait être déposée d’ici les quatre prochaines années.
On a aussi eu l’occasion de juger un concours de « rap » ou les étudiants de Dawson ont chanté en Hän. Puis, ce fut le festin communautaire organisé par Victor Henry et cuisiné par les hommes de la communauté qui nous a bien rassasiés. Caribou, orignal, lagopèdes et saumon ont été cuisinés sous toutes leurs formes : museau d’orignal, viande en ragoût, viande en tranches, viande séchée, soupe de tête d’orignal, sans oublier la bannique et les sauces aux baies comme la canneberge, le pimbina et le bleuet. Le tout a été clôturé par un spectacle de chants traditionnels et de danses où gigues, cotillons et quadrilles furent interprétés par une troupe de danseurs des Tr’ondëk Hwëch’in.
C’est à travers la diversité et la qualité des présentations et des échanges que j’ai pu comprendre la richesse du patrimoine yukonnais, et de l’importance de la conservation et transmission de notre patrimoine, de son savoir-faire, de notre langue et de notre culture, quelle que soit notre origine.