Jean-Pierre Dubé, collaboration spéciale, APF
Les enfants pauvres de la culture
Si la communauté artistique était une famille, le grand frère serait un chanteur populaire et la petite sœur une danseuse inconnue. Mais ont-ils l’appui des parents?
L’état de la communauté artistique en situation minoritaire est peu connu. Ce constat a poussé la Fédération culturelle canadienne-française (FCCF) à obtenir des fonds du Conseil des arts du Canada pour commander une étude de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML). Après avoir constaté l’absence de données, on a franchi un premier pas pour en obtenir et dévoilé le 2 décembre une étude nationale.
« Il n’y a pas de portrait de l’aide à la création et du travail des artistes en milieu minoritaire, explique la directrice adjointe de l’ICRML, Anne Robineau. Comme il n’y a pas de variables linguistiques dans les statistiques disponibles, il a fallu faire une commande spéciale à Patrimoine canadien pour nous les fournir. »
Selon les chiffres tirés du recensement de 2006, les artistes des communautés francophones seraient beaucoup mieux éduqués mais moins bien rémunérés que la population active franco-canadienne. L’étude révèle que 41,5 % des artistes avaient un grade universitaire comparativement à 17,5 % de la population des communautés.
La disparité entre les hommes et les femmes du milieu minoritaire est flagrante : en moyenne, les 1 410 hommes gagnaient 29 265 $ tandis que les 1715 femmes recueillaient 21 388 $ annuellement. Près de 40 % d’entre eux avaient un revenu égal ou inférieur à 10 000 $. Le revenu annuel moyen de la population des communautés s’élevait à 37 000 $. Les données de 2011 ne sont pas disponibles.
La FCCF fait de la recherche depuis 30 ans, souligne le directeur général Éric Dubeau, entre autres pour étudier les marchés de distribution de produits culturels. « On a aussi fait beaucoup de travail sur le lien entre langue, culture et éducation. Il y a dix ans, la Fédération a publié une recherche importante proposant une vision de l’école française qui intègre les arts et la culture. »
Au fil des ans, note Anne Robineau, on a vu « une évolution vers la professionnalisation, une meilleure diffusion des œuvres et un renforcement de l’écosystème d’organismes nationaux, provinciaux et locaux. Mais « la portée des actions demeure inégale, étant données les variations de 0,4 à 32,7 % des populations d’une région à l’autre.
Répartition des artistes selon les disciplines.
Musique et chant | 25,6 % |
Écriture | 21,4 % |
Film et vidéo | 17,9 % |
Arts visuels | 16 % |
Théâtre | 11 % |
Danse | 6,6 % |
« Il y a des disciplines qui sont plus structurées, comme la musique, l’édition et le théâtre, souligne l’auteure. D’autres ont de la difficulté à obtenir des ressources. Dans la danse, 78 % des artistes étaient des femmes : on a trouvé beaucoup de compagnies mais pas de regroupement national. » En littérature, le plus important sous-groupe serait l’écrivain à double vie consacrant la majeure partie de son temps à un autre travail pour survivre.
Le rapport fait ressortir des contraintes quant à la formation artistique et au développement du public. « L’isolement des artistes entre eux et du public est un obstacle à leur professionnalisation, constate Anne Robineau. Il y a toujours des jeunes qui veulent devenir artistes. Mais qu’est-ce qu’on fait pour rejoindre les publics jeunes et de plus en plus diversifiés?
« C’était facile d’aller chercher des informations auprès des organismes, selon l’auteure, mais il y a tout le côté informel qu’on connaît moins. Quels sont les accès à la culture dans les petites communautés, dans les sous-sols d’église et les cafés où l’on expose des œuvres et où l’on organise des soirées musicales. Si les médias ne parlaient pas de ces évènements-là, une partie de notre patrimoine disparaîtrait. »
Quelles conclusions tire-t-elle de l’étude? « C’est une première pierre dans l’édifice pour approfondir la recherche, estime la chercheuse. Tellement peu de choses ont été faites. Il y a d’importants changements sociodémographiques dans les communautés et l’offre culturelle se transforme. Comment accueille-t-on les artistes de la diversité culturelle et comment trouvent-ils le moyen de s’exprimer? »
Éric Dubeau sait que le paysage a changé depuis 2006. « On voudrait en savoir plus sur l’impact de l’immigration dans les communautés. On aimerait aussi connaître les pratiques exemplaires sur le plan artistique et les caractéristiques des communautés les plus dynamiques. Il sera important de relancer le processus pour mettre les données à jour. »
« Il y a toujours des hésitations quant au financement des arts, résume Anne Robineau. Les priorités actuelles demeurent la santé, l’éducation et l’économie. La culture vient toujours en dernier, c’est quelque chose qu’on peut couper facilement, même s’il y a des études qui montrent que la culture, ça rapporte. »
Légende : La chercheuse et directrice adjointe de l’ICRML, Anne Robineau. (Photo de Mathieu Girard).