le Mardi 17 septembre 2024
le Jeudi 18 mai 2023 7:35 Arctique

Porter du rouge pour se souvenir des femmes autochtones disparues

Plus d’une centaine de personnes ont marché le long du fleuve Yukon pour la journée de la robe rouge à Whitehorse. — Photo : Nelly Guidici
Plus d’une centaine de personnes ont marché le long du fleuve Yukon pour la journée de la robe rouge à Whitehorse.
Photo : Nelly Guidici
Les trois capitales des territoires ont commémoré la journée nationale de la robe rouge le 5 mai. Journée de sensibilisation et d’action, la robe rouge est le symbole des femmes et des filles autochtones, inuites et métisses disparues et assassinées.

Pour Carole McBride, présidente de l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC), le 5 mai est désormais une journée de solidarité, mais aussi un appel à la justice.

« Pensons à nos sœurs dont on a volé la vie et à leurs familles. Saisissons cette occasion d’exercer des pressions pour une mise en œuvre réelle des appels à la justice du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées (FFADA). L’AFAC exige des mesures à la hauteur de la gravité du génocide en cours », a-t-elle déclaré dans un communiqué de presse.

Margaret Nakashut, ministre responsable de la Condition féminine au sein du gouvernement du Nunavut, estime aussi que les appels à la justice, en particulier les 46 appels spécifiques aux Inuits, devraient être mis en place rapidement.

« Nous devons travailler sans relâche avec nos partenaires afin que se réalisent les 46 appels à la justice spécifiques aux Inuites du Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. »

Une marche sous le signe de l’émotion

À Whitehorse, un cortège de plus d’une centaine de personnes a défilé sur le Sentier Transcanadien le long du fleuve Yukon. Quarante-cinq robes rouges étaient exposées le long du sentier à la mémoire des 44 femmes disparues et assassinées au Yukon et dans le nord de la Colombie-Britannique. La 45e robe représente la personne à qui cela peut arriver. L’émotion était palpable sur les visages, notamment ceux des membres de la famille de Ramona Peter. Portée disparue depuis le 28 avril 2023 et vue pour la dernière fois le 21 avril 2023 à Ross River, sa famille était toujours sans nouvelle d’elle en cette journée.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) à Ross River a mis en place des opérations de recherche au sol et aérienne. Un avion de la GRC au Yukon a été envoyé pour faire un survol le 4 mai et les Services cynophiles ainsi que le Service de recherche et sauvetage du Yukon participant à l’enquête étaient sur place le 5 mai. Un hélicoptère nolisé a aidé le Service de recherche et sauvetage à ratisser le secteur. Des membres de la collectivité ont également participé aux recherches sur le terrain. Dans l’espoir d’accélérer le processus, le Ross River Dena Council offre 10 000 $ pour toute information permettant de savoir où se trouve Ramona Peter. Au moment de publier, elle était toujours portée disparue.

Selon Jeanie McLean, ministre responsable de la Direction de la condition féminine et de l’équité des genres au gouvernement du Yukon, présente lors de la marche, la Journée de la robe rouge revêt une signification particulière dans le territoire cette année.

« Aujourd’hui est une journée de deuil, de réflexion et de souvenir. C’est aussi un appel à l’action. Alors que les recherches se poursuivent pour retrouver Ramona Peter, de Ross River, la question revêt une importance encore plus grande. Je suis certaine qu’elle est dans le cœur et l’esprit de nombreuses personnes aujourd’hui », a déclaré la ministre dans un communiqué de presse du 5 mai 2023.

Pour Michele Thompson, co-organisatrice de la journée en partenariat avec le Cercle des femmes autochtones de Whitehorse, le nombre de femmes autochtones disparues et assassinées augmente d’année en année au Yukon. Au nombre de 42 en 2022, on dénombre 44 cas cette année. Cette situation est alarmante selon Mme Thompson, qui considère la journée de la robe rouge comme une occasion de reconnaître cette tragédie et de permettre aux gens de réaliser que ces disparitions et assassinats se produisent dans le territoire.

« L’atmosphère était lourde et ça ne risque pas de changer [prochainement], car les chiffres sont en augmentation. Nous ne pouvons pas contrôler cette réalité, mais nous devons la reconnaître », souligne-t-elle lors d’une entrevue.

À Yellowknife, une centaine de personnes se sont rassemblées autour d’un feu sacré.

Photo : Juliana Orthlieb

Un plan d’action aux T.N.-O.

À Yellowknife, une centaine de personnes ont défilé et assisté à une cérémonie de commémoration autour du feu. L’Association des femmes autochtones des Territoires du Nord-Ouest rappelle que le 5 mai est « un jour dont nous nous souvenons publiquement, mais pour ceux qui ont perdu leur famille et leurs amis à cause de la violence, nous savons qu’ils y pensent chaque minute, chaque heure, chaque jour, chaque semaine, chaque mois et chaque année ».

Caroline Wawzonek, ministre responsable de la Condition de la femme au gouvernement des T.N.-O., rappelle la persistance « de taux disproportionnés de mauvais indicateurs de santé, de faible niveau d’éducation et d’autres indicateurs sociaux, sanitaires et économiques négatifs au sein de la population autochtone des T.N.-O. par rapport au reste de la population canadienne ».

Le 7 novembre 2022, elle a présenté un plan d’action du gouvernement en réponse aux appels à la justice pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées. Afin de faire face à cette situation alarmante, ce plan d’action appelé « Changer les relations » vise à lutter contre le colonialisme et la discrimination raciale et sexuelle à tous les ordres de gouvernement et dans les institutions publiques. Dans la quatrième section du plan d’action de 136 pages, il est notamment demandé la création d’une législation sur les personnes disparues.

« Le ministère de la Justice explore des options pour l’élaboration d’un régime législatif visant à faciliter la collecte de renseignements nécessaires et opportuns par la police lors d’une enquête sur une personne disparue. Lorsqu’une enquête s’étend sur plus d’un territoire, le fait d’avoir des lois similaires dans toutes les provinces et tous les territoires peut aider la police à travailler ensemble plus efficacement », peut-on lire dans le rapport.

En octobre 2021, on dénombrait aux T.N.-O. sept homicides non résolus depuis 1985, dont quatre concernent des femmes autochtones.

« Pour changer les choses, nous devons nous attaquer aux causes systémiques de la violence, de l’inégalité et du racisme, indique Mme Wawzonek, afin que les femmes, les filles et les personnes de diverses identités de genre autochtones se sentent en sécurité et en confiance sur notre territoire et dans l’ensemble du pays. »

Au Nunavut, la journée a été jumelée avec le lancement d’un projet de création pour rendre hommage aux femmes et filles autochtones disparues et assassinées.

Photo : Gabrielle Poulin

Lancement de l’initiative RED au Nunavut

La marche commémorative qui a eu lieu à Iqaluit a été jumelée avec le lancement de l’initiative RED : Remémorer, Éduquer, Dédier. Cette nouvelle initiative a pour but d’inviter les artistes du territoire, qui œuvrent dans les secteurs de l’artisanat, de la musique ou encore de la couture, à créer des œuvres en hommage à celles qui ont disparu. Les créations récoltées lors de cette initiative seront présentées dès février 2024 dans le cadre d’une exposition virtuelle itinérante dont les axes principaux seront la commémoration, la guérison et l’autonomisation.

Pour Amber Aglukark, présidente du Conseil Qulliit de la condition féminine du Nunavut, la Journée de la robe rouge permet de construire la voie vers la réconciliation : « la réconciliation signifie la reconnaissance de nos droits et du fait que notre sécurité et notre protection sont vitales pour les décisionnaires. Ce n’est qu’alors que nous pourrons guérir et atteindre tout notre potentiel. Nous devons habiliter nos femmes, nos filles ainsi que les personnes de la communauté 2ELGBTQQIA+ et les aider dans leurs efforts pour s’épanouir dans des milieux de vie et des environnements sains et respectueux », conclut-elle.

Une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.