L’Arctique contient plus de lacs que toute autre région du monde. Ils représentent 20 % à 40 % des terres de l’Arctique et « fournissent un habitat essentiel à la faune tout en étant des réservoirs d’eau pour les communautés éloignées » peut-on lire en introduction.
Cette étude, qui s’est basée sur les données satellitaires de la NASA sur une période de 21 ans, de 2000 à 2021, montre que les effets de l’augmentation des températures sur le pergélisol combinée à l’augmentation des eaux de pluie à l’automne ont des effets importants sur ces lacs qui, dans l’ensemble, disparaissent.
« Nous avons constaté une baisse assez forte des eaux de surface, en particulier dans les régions où il y a beaucoup de lacs, et nous savons qu’il existe des mécanismes par lesquels le pergélisol peut entraîner la diminution des lacs, » indique Elizabeth Webb, auteure principale de l’étude et chercheuse postdoctorale à l’Université de Floride aux États-Unis.
Avec les changements dans la structure du pergélisol présent dans le sous-sol, l’eau des lacs peut s’écouler vers la nappe phréatique au fur et à mesure que le pergélisol dégèle : « nous estimons que cette baisse importante et généralisée des eaux de surface est probablement due au dégel du pergélisol provoquant le drainage des lacs. »
Sur l’ensemble de la région panarctique, les eaux de surface ont diminué de 1,4 % en 20 ans. Ce qui signifie que la présence de l’eau de surface est passée d’environ 15 % à 13,6 %.
Une situation différente dans le Nord-Ouest canadien
Cependant, les tendances sont hétérogènes. Et dans certaines zones, par exemple dans le nord-ouest du Canada, c’est plutôt la situation inverse qui se produit.
L’analyse de l’étude appelée « Les changements dans la dynamique des eaux de surface dans le nord-ouest du Canada sont influencés par les feux de forêt et le dégel du pergélisol », publiée le 25 octobre 2022 dans Environmental Research Letters et financée par ArcticNet et le Conseil des sciences naturelles et du génie du Canada, montre que les augmentations significatives de la superficie des lacs étaient 5,6 fois plus fréquentes que les diminutions au cours de la période d’étude. C’est également à partir d’archives de données satellitaires sur 35 ans, de 1985 à 2020, que cette étude a pu cartographier les tendances annuelles dans une zone qui couvre l’extrême nord-ouest du Nunavut, la région du grand lac des Esclaves jusqu’à la côte de la mer de Beaufort aux Territoires du Nord-Ouest ainsi que le Yukon. Ce sont par exemple les zones d’Eagle Plain dans le nord du Yukon, Tuktoyaktuk ou encore l’ensemble de la région du fleuve Mackenzie qui ont été étudiés.
Il s’avère que les feux de forêt ont un impact sur les eaux de surface au même titre que la fonte du pergélisol. Dans l’ensemble de la couverture géographique qui fait l’objet de cette étude, la zone représentant des gains de couverture en eau était de 3 002 km2 contre 1 121 km2 de pertes d’eau.
« Les lacs situés dans des régions où la présence du pergélisol est plus élevée étaient plus susceptibles d’avoir connu des augmentations de superficie, tandis que les lacs touchés par des incendies de forêt étaient plus susceptibles d’avoir connu des diminutions de superficie, » peut-on lire en conclusion du document.
Des études supplémentaires nécessaires
L’augmentation de la surface des lacs libère du carbone dans l’atmosphère, principalement sous forme de méthane, et contribue à l’augmentation des températures.
Les deux études estiment que des données supplémentaires doivent être collectées afin de continuer de documenter ce phénomène qui a des effets directs et importants sur la faune, mais aussi pour les collectivités nordiques qui peuvent s’approvisionner en eau douce dans les lacs.
« Je pense qu’il y a beaucoup d’espace pour davantage de recherche à la fois sur le cycle du carbone et sur les changements des lacs. Il y a un besoin d’études à grande échelle comme celle que j’ai réalisée, mais aussi à une échelle plus locale qui peut vraiment informer les communautés de ce qui se passe là où les personnes vivent », pense Mme Webb.
Quelles solutions pour rompre ce cycle?
Elisabeth Webb estime qu’il n’y a pas de solution à l’échelle locale à l’heure actuelle, car il est impossible de prédire quel sera le prochain lac à se vider de son eau. Cependant, le changement de tendance et la solution ne peuvent venir que d’une collaboration internationale forte entre les états afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
« Je pense que nous avons un long chemin à parcourir en tant que communauté internationale. Nous avons déjà tellement de carbone dans l’atmosphère que le processus est irréversible, nous ne pouvons pas récupérer ces lacs qui se drainent. Nous sommes déjà dans cette voie et plus vite nous sortons de cette trajectoire et plus tôt nous verrons ces changements cesser. Mais ce ne sera pas immédiat », conclut la chercheuse.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des trois territoires canadiens : les journaux L’Aquilon, L’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.