Karasik est un volcan sous-marin éteint, découvert tardivement, en 2001. Il est situé dans une zone difficile d’accès, éloignée des côtes des nations de l’Arctique. La banquise y est présente tout au long de l’année. L’Arctique dans son ensemble est encore peu connu et seulement 15 % des fonds sous-marins sont correctement cartographiés.
Pour se rendre dans cette région située aux confins du globe, l’équipe de chercheurs menée par Antje Boetius, biologiste de la vie marine et directrice de l’Institut Alfred Wegener, a voyagé sur un brise-glace appelé le Polarstern. Ce navire de recherche en opération depuis le début des années 1980 peut accueillir une cinquantaine de chercheurs à son bord.
Collectées pendant l’été 2016, à des profondeurs situées entre 500 et 800 mètres, les analyses des échantillons des éponges de mer ont permis de relever la riche biodiversité qui vit dans les abysses de l’océan Arctique. La noirceur qui domine à ces profondeurs, accentuée par la couche de glace de mer qui bloque les rayons du soleil, rend cette zone difficile à explorer.
Cependant, l’équipe de chercheurs s’est équipée de matériel spécifique et de systèmes de caméras sous-marines capables d’enregistrer des images à de telles profondeurs.
Une biodiversité étonnante
Une colonie d’éponges marine, âgée de 300 ans, mais aussi des étoiles de mer, comptent parmi les organismes vivants sur le mont Karasik. Les éponges ont particulièrement retenu l’attention de l’équipe de l’Institut. Pour Teresa Maria Morganti, chercheuse postdoctorale en écologie marine et spécialiste des éponges marines, cette découverte est tout à fait étonnante, car les nutriments sont peu présents dans cette zone, ce qui la rend peu propice à l’expansion d’une telle biodiversité.
« Ce qui rend cette région assez unique, c’est la [faible] disponibilité de nourriture et de nutriments. Mais, ce qui est encore plus surprenant, c’est le fait que nous ayons observé de nombreuses formes de vie au sommet du mont sous-marin. C’est un point névralgique de la vie sous-marine », explique la chercheuse spécialisée dans l’écologie alimentaire des éponges de grands fonds.
Un autre aspect encore plus surprenant a été découvert. Cette communauté d’éponges se déplace pour trouver de la nourriture, et ceci n’avait été observé nulle part ailleurs.
« Les éponges peuvent se déplacer vers un meilleur endroit afin d’obtenir la nourriture et cela n’a jamais été observé auparavant. Habituellement, elles ne bougent pas, et cette observation est vraiment étonnante, car nous avons découvert un nouveau mécanisme d’alimentation pour cette communauté d’éponges », précise Mme Morganti.
Une biodiversité à protéger
Le mont sous-marin Karasik abrite une biodiversité qui mérite d’être étudiée et sauvegardée. Cette région a une valeur inestimable, car elle demeure, à l’heure actuelle, dans un état intact. Mais pour combien de temps encore? Avec la fonte de la banquise et l’augmentation potentielle de la fréquentation humaine – le commerce maritime, par exemple –, Mme Morganti pense qu’un plan de conservation international de l’océan Arctique doit être mis en place rapidement afin de protéger cette biodiversité.
« Il est très important pour les pays de la région arctique de discuter de la manière de protéger et de gérer ces ressources. Il faudrait que ce soit à la fois un plan de protection et de gestion, car il n’existe aucun concept de zone de protection marine pour l’océan Arctique. »
Un rapport de recommandations sur la mise en place d’un plan de gestion de l’océan Arctique a été remis au Conseil de l’Arctique le 19 avril 2020. Malgré l’adoption d’un plan stratégique appelé Protéger les écosystèmes marins et côtiers dans un Arctique en mutation, et couvrant la période de 2015 à 2025, certaines barrières semblent retarder la mise en place efficace de ce plan. En effet, le rapport de 2020 identifie des défis à la fois politiques, écologiques, diplomatiques, scientifiques et climatiques.
L’une des solutions mises de l’avant est la création d’un système de gouvernance qui inclut les plus hautes instances des pays membres du Conseil avec un mandat fort et un agenda sérieux. Alors que les activités humaines croissent, la mise en œuvre des pistes de solutions avancées pourrait permettre l’émergence d’un projet commun qui consoliderait la diplomatie internationale en Arctique tout en protégeant la riche biodiversité marine.
Articles de l’Arctique est une collaboration des cinq médias francophones des territoires : les journaux L’Aquilon, l’Aurore boréale et Le Nunavoix, ainsi que les radios CFRT et Radio Taïga.