Sylvain Charlebois, Université Dalhousie, Agricom
Le gaspillage alimentaire à la maison cumule des frais cruellement invisibles. Pour nous tous, c’est une facture qui n’arrive jamais, mais que l’on doit acquitter chaque jour. Avant la pandémie, chaque ménage canadien gaspillait environ 140 kilos de nourriture par année, soit l’équivalent d’environ 1 766 $, jetés à la poubelle ou compostés. Dans le contexte actuel où l’inflation alimentaire dépasse 3 %, payer de la nourriture carrément pour rien est insensé. On le sait tous, mais notre vie de nomade nous pousse à agir ainsi.
Avec l’arrivée de la pandémie, les choses ont bien changé. Étant donné que nos vies s’en trouvent modifiées et que la majorité des Canadiens passent davantage de temps à la maison depuis le mois de mars, beaucoup se demandent si l’on gaspille plus qu’avant.
Une enquête récente de l’Université Dalhousie nous offre un portrait de ce qui se passe dans nos maisons et nos cuisines. Au-delà de 8 000 Canadiens ont été interrogés récemment au sujet du gaspillage.
D’abord, de manière intuitive, tout porte à croire que nous gaspillons moins depuis le début de la pandémie. Les résultats de l’enquête ne sont pas sans équivoques à ce sujet et suggèrent plutôt que les Canadiens gaspillent plus de nourriture en volume depuis le début de la pandémie.
« Malgré le fait que les ménages génèrent plus de gaspillage en volume, tout porte à croire que nous gaspillons moins de nourriture, collectivement », commente le Dr Sylvain Charlebois, professeur titulaire et directeur principal du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire.
Avant la pandémie, sur la base des estimations, les participants ont indiqué que leur ménage produisait environ 2,03 kg par semaine de déchets alimentaires organiques (évitables et inévitables). L’enquête révèle que le ménage canadien moyen produit maintenant 2,30 kg de déchets alimentaires organiques (évitables et inévitables), ce qui représente une augmentation de 13,5 %.
Cela concorde avec quelques données antérieures publiées par certaines municipalités du pays. D’après nos évaluations de modélisation, les ménages canadiens pourraient avoir généré entre 20 et 24 millions de kilos supplémentaires de déchets organiques par mois, depuis le début de la pandémie. Mais nous achetons et rapportons aussi plus de nourriture à la maison.
Néanmoins, il n’est pas clair si les ménages génèrent plus de déchets, proportionnellement, qu’avant la pandémie, étant donné que les Canadiens mangent plus souvent à la maison. Un total de 55,4 % des gens sondés estiment qu’ils gaspillent moins de nourriture en pourcentage du volume, par rapport à la période précédant la pandémie. Et ces personnes ont peut-être raison.
Il est intéressant de noter certaines mesures que les personnes interrogées ont déclaré avoir prises plus souvent depuis le début de la pandémie pour réduire la quantité de déchets alimentaires générés. « Manger les restes plus souvent » (34,5 %) représentait la mesure la plus populaire, suivie de « regarder plus souvent dans le réfrigérateur et les armoires » (24,4 % étant la deuxième mesure la plus populaire); « opter pour la conservation, la congélation et la mise en conserve des aliments plus souvent » étant le troisième choix populaire (22,5 %).
Même si la pandémie a apporté son lot d’incertitudes, elle semble nous avoir forcés à nous discipliner davantage, à mieux nous organiser et à demeurer à l’affut de ce qui se retrouve chez nous, dans nos garde-mangers et nos réfrigérateurs.
Résultat surprenant
Au cours de notre enquête, nous avons également demandé aux participants s’ils jetaient de la nourriture en pensant qu’elle était contaminée par la COVID-19, ce qui générerait à son tour plus de déchets. Alors qu’un total de 10 % des Canadiens ont déclaré avoir jeté des aliments qu’ils croyaient contaminés par la COVID-19, le Québec avait le pourcentage le plus élevé (14 %), suivi de la Colombie-Britannique (13 %).
Il n’existe aucune base scientifique qui nous inciterait à croire que la nourriture peut être contaminée par la COVID-19. Un virus ne se propage pas comme une bactérie de la salmonelle ou de l’E. coli. Parfois, l’irrationalité et l’anxiété nous poussent à adopter des comportements bizarres.
Bonne nouvelle
Une partie de la population canadienne consomme également plus souvent des aliments après leur date de péremption depuis le début de la pandémie dans le but de réduire le gaspillage. Alors que 12,7 % le font plus souvent depuis le début de la pandémie, 8,2 % le font moins souvent. Un total de 20,0 % ne mange jamais de produits alimentaires après leur date de péremption.
Le Manitoba a le pourcentage le plus élevé de personnes qui ont mangé des aliments dépassant leur date de péremption depuis le début de la pandémie (14,8 %), tandis que le Québec a le taux le plus faible (8,6 %). Les dates de péremption sur les emballages font encore peur au Québécois, du moins, plus qu’ailleurs.
Malgré tout, il ne faut pas oublier que nous visitons beaucoup moins souvent les restaura nts ces temps-ci. Buffets à volonté, plats partagés, portions trop généreuses, tout cela n’existe presque plus depuis la mi-mars. Et ce secteur génère habituellement beaucoup de gaspillage alimentaire. Alors, il est raisonnable de croire que notre société, de façon générale, gaspille moins, malgré la hausse du gaspillage en volume des ménages.
Pour l’automne, nous nous attendons à une augmentation de la responsabilisation des ménages, malgré la rentrée scolaire et le chaos que les mois de septembre et octobre nous amènent. Mais une question demeure : est-ce que la peur du virus sur nos aliments et le syndrome des dates de péremption, qui nous incitent à gaspiller davantage, disparaitront un jour? Seul le temps nous le dira.