le Lundi 25 septembre 2023
le Mercredi 19 février 2014 11:00 À la une

CSFY : Jusqu’à la Cour suprême

Lors de la réunion du 13 février, les commissaires se sont entretenus avec l’avocat de la CSFY à huis clos, avant de décider de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada. Photo : Pierre Chauvin.
Lors de la réunion du 13 février, les commissaires se sont entretenus avec l’avocat de la CSFY à huis clos, avant de décider de porter l’affaire devant la Cour suprême du Canada. Photo : Pierre Chauvin.

Pierre Chauvin

La Cour d’appel du Yukon a tranché : le juge Ouellette a failli à son obligation d’être impartial, notant une « crainte raisonnable de partialité ».

Elle a aussi ordonné qu’un nouveau procès ait lieu.

En attendant, la Commission scolaire francophone du Yukon (CSFY) a décidé qu’elle porterait l’affaire devant la plus haute cour du pays, la Cour Suprême du Canada.

« La cour s’il elle avait choisi de ne pas statuer sur la question de l’impartialité aurait pu statuer sur certaines autres des questions de fond que la cour renvoie maintenant en première instante »,a regretté Ludovic Gouaillier, président de la CSFY, en entrevue à l’Aurore boréale.

Il note qu’une telle décision, remettre en cause l’impartialité d’un juge, est extrêmement rare.

« Les juges arrivent tous avec un passé, des idées, on ne peut pas s’attendre à ce qu’ils soient des robots », dit-il.

Il a affirmé cependant que la CSFY et le ministère de l’Éducation restaient partenaire, et que leur travail se faisait dans une « très bonne ambiance. »

La CSFY a pris en compte les possibles effets qu’une telle décision cela pourrait avoir sur d’autres commissions scolaires à travers le pays.

« Ce serait bien dommage qu’on ait une décision qui vienne nuire aux efforts qui sont faits ailleurs au pays », a-t-il dit, même si leur décision se base avant tout sur l’intérêt de la communauté.

« Ce qui est le mandat des commissaires, c’est de trouver une solution qui est au meilleur bénéfice des gens qui nous ont élus », rappelle-t-il.

Vendredi dernier, Elaine Taylor, ministre de l’Éducation et responsable de la Direction des services en français, a rencontré le président de la CSFY qui lui a fait part de la décision de la commission.

« C’est leur droit de continuer le litige, et nous respectons cette décision », a-t-elle dit en entrevue à l’Aurore boréale. Elle a noté que les deux parties continuent de travailler ensemble, que ce soit sur une nouvelle formule de financement ou la possibilité d’une deuxième école pour le français langue première qui viendrait augmenter la capacité de l’école Émilie-Tremblay.

« Nous sommes allés de l’avant avec les deux portatives, malgré la suspension de l’injonction », a ajouté la ministre. La cour d’appel avait enfin suspendu puis annulé l’injonction de première instance qui forçait le gouvernement à fournir des portatives en attendant la construction d’une nouvelle école.

Interrogée sur la possibilité d’un accord en dehors des tribunaux, la ministre a répondu « C’est une question à poser à la commission. »

En attendant, c’est un retour à zéro après une bataille judiciaire qui a commencé en 2009 lorsque la CSFY a intenté une poursuite contre le gouvernement, arguant que celui-ci ne respectait pas ses obligations comme prescrit par la Loi sur l’éducation et la Charte canadienne des droits et libertés. Au terme du procès en première instance, le juge Ouellette avait donné raison à la commission scolaire et ordonné au gouvernement, entre autres choses, de donner à la CSFY la pleine gestion scolaire, la fiducie des fonds destinés au français langue première, ainsi que le droit de construire une nouvelle école.

Le gouvernement s’était porté en appel, arguant que les implications passées du juge dans l’enseignement du français en milieu minoritaire ne lui permettaient pas d’être impartial.

Partialié

La Cour a donné raison au gouvernement en se basant sur deux arguments : son implication au sein de la Fondation franco-albertaine (FFA) et son « attitude » durant le procès.

Le juge Ouellette siège à la FFA en tant que gouverneur. Le but de l’association est d’atteindre « une francophonie albertaine autonome, dynamique et valorisée » selon son site Web.

« En continuant d’être gouverneur, le juge, à vrai dire, déclare publiquement son soutien à cette vision », note la Cour.

La Cour cite aussi le refus de juge de faire témoigner une personne par affidavit — par écrit et non devant la Cour — alors que cette personne se remettait d’un arrêt vasculaire cérébral et avait de la difficulté à communiquer, surtout dans des situations stressantes.

« À notre avis, le traitement de cette affaire par le juge est indicateur de partialité au détriment de l’avocat (du gouvernement) », écrit la Cour d’appel.

L’avocat du gouvernement s’était également plaint du comportement du juge qui lui aurait fait des grimaces lors d’un contre-interrogatoire.

« Hormis les questions d’expression faciale et de rire, toutefois, nous sommes d’avis que le juge a manqué de respect envers l’avocat du gouvernement à de nombreuses reprises », écrivent les trois juges.

3,2 millions

La procédure totale a coûté 3,2 millions de dollars aux contribuables yukonnais, 2,6 millions pour le gouvernement, dont 400 000 $ de remboursement à la CSFY pour le premier procès, et 600 000 $ restants pour la commission scolaire.

La commission scolaire devrait payer pour ses propres coûts lors de l’appel et ce sera lors du nouveau procès que sera déterminé à qui revient de payer les frais de 400 000 $ du premier procès.

Douze ans plus tard

La bataille entre le gouvernement et la communauté francophone sur l’éducation ne date pas de 2009.

En 2002, l’Association franco-yukonnaise intente une poursuite contre le gouvernement du Yukon.

« Rappelons que les suggestions émises par la communauté franco-yukonnaise lors du processus de consultation de la refonte de la Loi sur l’éducation avaient été écartées par le gouvernement libéral alors au pouvoir », notait Marie-Hélène Comeau dans l’Aurore boréale du 17 avril 2003.

Peu après, le premier ministre Dennis Fentie et l’AFY décidaient de négocier plutôt que de continuer devant les tribunaux.

C’est devant l’échec des négociations que la CSFY a intenté cette poursuite en 2009.

Un droit constitutionnel

Dans la poursuite, la CSFY demandait de pouvoir décider elle-même de l’admissibilité des étudiants. En effet, l’enseignement de la langue « minoritaire » au sens de la Charte canadienne des droits et libertés est réglementé par l’article 23. Pour y être admissibles, les parents de l’enfant doivent avoir étudié en français, ou leur première langue doit être le français, ou ses frères et soeurs doivent avoir étudié en français. Le juge Ouellette avait accédé à la demande de la CSFY, mais la Cour d’appel a interprété la Constitution autrement, jugeant que l’article ne « vise pas à assurer que l’on encourage les membres de la majorité linguistique à apprendre l’autre langue officielle. »

Or, dit André Bourcier, président de la CSFY entre 2006 et 2013, le contexte a changé depuis 1982, lorsque cet article a été écrit. Le Canada n’est plus seulement divisé en population d’origine française et britannique.

« Si on veut protéger ces communautés-là, il faut leur permettre d’avoir des membres, des gens qui vont s’identifier à ces communautés-là, qui ne le sont peut-être pas en arrivant au pays », explique-t-il.

Il y a aussi un aspect réparateur à cet article, ajoute-t-il, certaines familles francophones à l’extérieur du Québec n’ayant pas pu instruire leurs enfants en français avant la création de la charte.

« C’est rapide, tranché sans tenir compte des faits », dit-il au sujet de la décision de la Cour d’appel sur l’article 23, déplore-t-il. C’est une mauvaise nouvelle pour la communauté, selon lui. « La grande communauté francophone canadienne, c’est une mauvaise décision parce qu’elle va faire jurisprudence. »

Ce dossier marathon aurait dû être examiné plus longuement par la Cour d’appel. « Il y a certains éléments là-dedans qui ont été tranchés de façon hâtive et malheureuse par la Cour d’appel », dit-il.

Pour la commission scolaire, effectuer un nouveau procès serait dispendieux, dit André Bourcier, car cela l’obligerait à rappeler tous ses témoins, et à effectuer les dépenses faites en première instance.

« On ne peut pas rester avec un jugement comme ça qui va créer des problèmes partout au Canada », conclut-il.