le Vendredi 22 septembre 2023
le Jeudi 14 septembre 2023 7:55 Actualités

La version qui n’intéresse personne d’Emmanuelle Pierrot

Un roman en 5 parties, 359 pages, à découvrir pour la rentrée littéraire. — Photo : Agnès Viger
Un roman en 5 parties, 359 pages, à découvrir pour la rentrée littéraire.
Photo : Agnès Viger
Le 12 septembre, le premier roman d’Emmanuelle Pierrot, La version qui n’intéresse personne, aux éditions Le Quartanier, est sorti au Canada et en Europe.

Ceux ou celles qui ont croisé Emmanuelle Pierrot au Yukon ont certainement été intrigué·e·s par cette jeune Québécoise qui noircissait constamment son carnet avec de la poésie. « Je suis awkward socialement. Toutes les fois que j’allais dans des partys, j’avais toujours un calepin, c’était ma façon de gérer mon anxiété sociale. J’avais besoin de sentir mon intériorité entourée de plein d’humains, ça me reconnectait à moi-même », partage-t-elle. La poétesse a été en lice pour le prix de Poésie Radio-Canada en 2022.

La version qui n’intéresse personne est son premier roman publié, inspiré de sa vie sur le territoire entre 2012 et 2020. « J’ai commencé à l’écrire en mai 2020. Il y a deux ans, je suis arrivée au Quartanier avec un recueil de poésie sur le Yukon. Ils trouvaient que c’était hyper narratif et voulaient avoir une version en prose. Je suis revenue avec un manuscrit de 300 pages », explique Emmanuelle Pierrot. La sortie d’un premier roman, c’est « accepter que tout le monde va pouvoir lire ton cœur, donner une opinion », ajoute-t-elle.

Plonger dans la communauté de punks de Dawson

Les premières pages amènent rapidement vers l’immersion dans la communauté de vagabonds de Dawson, passant des concerts au Hobo Mansion, de l’autre côté du fleuve, aux discussions de comptoir du Pit – lieu de rencontre privilégié des dawsonites au cœur de l’hiver –, aux jams de musique improvisés dans des squats et le long du fleuve, aux pérégrinations vers le festival de Keno. Les protagonistes sont crus et authentiques, l’alcool, le nihilisme, la dépression et la drogue en toile de fond. « J’adore le style surréaliste, il y en a un peu dans mon roman, lié à la prise de psychotropes », s’amuse l’autrice.

Emmanuelle Pierrot.

Photo : Justine Latour

Emmanuelle Pierrot a dû faire le choix entre autobiographie et fiction pour partager ses mésaventures yukonnaises. « Ça se passe vraiment comme en 2020, à l’arrivée de la pandémie. J’ai fusionné des personnages, coupé des passages, changé le plus d’affaires possible pour que ce soient des protagonistes qui m’appartiennent, une vraie fiction. Dans la vie, l’humain est vraiment complexe, je ne voulais pas réduire les personnes à une situation », partage-t-elle

De l’amour du territoire à la désillusion

Les qualités de poétesse de l’autrice se retrouvent dans sa façon d’écrire ses histoires d’amitiés passionnelles, son amour maternel pour le chien-loup qu’elle élève, ses aventures sexuelles, les dialogues où les personnages refont le monde ou son amour pour les espaces sauvages du Yukon. On lit ainsi, page 275 : « C’est là qu’elles me sont apparues, les ostie d’aurores boréales du câlisse : des langues rouge vin qui léchaient le cosmos, des océans rose pastel et leur miroitement vert et mauve phosphorescent. Je n’ai pas pleuré. J’aurai pu. Si la beauté du monde avait suffi à compenser la connerie humaine, j’aurais pleuré de grâce. Mais la beauté ne sert à rien. »

Sous la fiction, Emmanuelle Pierrot a voulu transmettre un message, un cri du cœur, sa version de l’histoire. Petit à petit la violence, le silence et la cruauté prennent de l’ampleur. Les on-dit deviennent vérité. La victime imparfaite est mise sur le banc des accusés. La communauté laisse le personnage principal, Sacha, esseulée, isolée. Elle touche par sa naïveté et son amour de l’autre, elle parle avec son cœur. « Quand elle tombe en amour avec les humains, elle veut que ça soit éternel », explique l’autrice. Le style d’écriture respire l’authenticité, le parler-vrai. « J’ai beaucoup d’inspirations chez les auteurs masculins des années 1960 comme Charles Bukowski. Chez lui, il n’y a pas de morale, de gens bien ou méchants, beaucoup d’humour. Je voulais faire quelque chose comme ça, les gens font de leur mieux, les gens deviennent attachants dans leur humanité. Ils n’essaient pas de bien paraître. »

Un avenir prometteur pour l’autrice

La version qui n’intéresse personne, captivant malgré sa violence inouïe, touche à toutes les émotions. On y pleure, on y enrage, on y rit. On s’amuse et se désabuse. « J’ai parfois réduit mon degré de réalisme, parce que la réalité me semblait insensée, j’ai préféré gommer, censurer par pudeur. Ma maison d’édition m’a poussée à dire les choses au complet », livre-t-elle. « J’adore écrire en tant que femme, ça amène tellement de nuances. Je trouvais ça intéressant de montrer le double standard dans une communauté qui se veut antifasciste, on a de la misogynie sans le savoir. »

Quand elle était dawsonite, Emmanuelle Pierrot avait déjà écrit un roman, non publié. Elle travaille sur un autre roman qu’elle écrit depuis une quinzaine d’années. « J’ai écrit toute ma vie. J’utilise beaucoup de matériel d’autofiction. Aujourd’hui, j’essaie d’éviter les drames, ma vie est plus plate et stable, je dois me détacher de l’autofiction pour trouver l’inspiration. Le Yukon me manque tous les jours. Je crée des impressions chez les gens avec ma prose, mais c’est la poésie qui me fait du bien », partage-t-elle. Avec le soutien d’une maison d’édition, ce roman pourrait trouver son lectorat. « Dans La version qui n’intéresse personne, j’aurais voulu transmettre plus de messages engageants. J’ai hâte de voir comment la communauté va le recevoir. C’est rare qu’on se fasse représenter », conclut-elle.