le Dimanche 4 juin 2023
le Jeudi 23 mars 2023 8:00 | mis à jour le 29 mars 2023 8:46 Éditoriaux

Linguistique

Les drapeaux de la francophonie — Photo : acelf.ca
Les drapeaux de la francophonie
Photo : acelf.ca

Quelques jours après la Journée internationale de la francophonie, j’aimerais qu’on s’attarde un peu sur un mot qui est sur beaucoup de bouches : linguistique.

Le français est l’objet de bien des questionnements. Le parle-t-on bien ou mal en dehors de certaines régions? La France est-elle moins inclusive, ou utilise-t-elle plus d’anglicismes? Le français des anglophones est-il du « baragouinage »? L’écriture inclusive est-elle une « mutilation »? Est-il acceptable d’écrire comme on parle? My god… ça fait beaucoup de questions, tout ça, right?

Un peu de contexte. Selon le dictionnaire, ce mot définit la « pratique de la langue considérée comme moyen de communication ».

Une langue, lorsqu’elle se porte bien, est normalement « vivante », et comme toute chose qui se veut organique, c’est un concept en mouvance. Ça bouge, ça vit, ça évolue, ça grandit même. On le voit bien au Canada : une langue, ça peut même s’éteindre lorsque son usage est interdit. Parlez-en à des personnes autochtones…

Une langue dite vivante est donc, par définition, une langue qu’on utilise.

Le français est parlé par plus de 321 millions de personnes dans le monde à l’heure actuelle. Selon un article de Francopresse, nous pourrions même être près de 700 millions à la parler d’ici 2070! Comment cette langue peut-elle rester figée lorsqu’elle est pratiquée par tant de monde? Tels les marbres des monuments très visités, les angles du français en sont polis par un usage répété, déformés et incurvés parfois. Les teintes de ses poignées de portes, ouvertes à répétition, en sont devenues patinées… Mais notre langue en est-elle devenue moins belle pour autant?

Plus de 50 millions de personnes dans le monde apprennent le français comme langue seconde. Alors tout d’abord, commençons par encourager celles et ceux qui l’apprennent, notre belle langue avec laquelle il nous plait de jouer. Demander un café en français, dire bonjour à la personne à la caisse ou échanger quelques mots avec un·e jeune qu’on a vu dans le journal, c’est à la portée de tout le monde. Parler français n’a pas toujours besoin d’être un geste politique. C’est aussi un geste de bienveillance, d’encouragement, d’inclusion. Un petit Bonjour, ça dit parfois tout simplement « je t’invite dans mon univers ». Ça sécurise.

Bien que je sois née en France, j’ai souvent vécu des situations où mon français n’était pas « le bon ». Personne n’est à l’abri de l’insécurité linguistique, qui englobe des multitudes de micro-agressions. Combien de fois me suis-je faite juger, du fait de mon accent français! Si je parle des Bisounours au lieu des Calinours dans un édito, les juges des Prix d’excellence me font remarquer que ce n’est pas « canadien »… Ayoye! Ouvrez les yeux : la francophonie est multiple. Nos accents sont différents, nos repères et nos expressions aussi, du coup.

« L’insécurité linguistique, c’er la thing qui arrive quance que des forces externes te font feeler tellement bad about la way que tu parles, que tu end up à te censurer pis tu arrêtes de t’exprimer de façon authentique, » résume Xavier Goult, artiste multidisciplinaire queer acadien·ne. « En tant qu’Acadien·ne qui parle pis écrit le chiac – un dialecte francophone riche en histoire pis en culture -, chu tanné·e de me définir par un terme qui me place perpétuellement en infériorité par rapport au français des autres », renchérit-iel.

De mon côté, j’ai grandi au milieu des meufs, près des técis en banlieue parisienne. J’y ai appris Molière, certes. Mais j’en ai aussi gardé un peu de Verlan, ce français que les médias disaient « mutilé » par une génération qui ne demandait alors qu’à se l’approprier.

La francophonie est vivante, multiple et riche de ses couleurs dignes d’un arc-en-ciel. Alors oui, il y a de nouveaux mots qui y font irruption. Des meufs, des iels, des rights et des Bisounours. C’est ça l’évolution.

Parfois c’est un peu nébuleux, c’est vrai. Pas facile de comprendre le verlan, le chiac ou l’écriture inclusive. Mais voyons-y des occasions d’apprentissage. J’ai appris récemment, grâce à la Caravane des dix mots, que le mot hivernage avait une tout autre signification en Afrique, où il désigne la saison des pluies. Quel plaisir de défaire mots et connexions! Lorsque des consonances familières résonnent différemment à des milliers de kilomètres de notre monde à nous, cela ne donne-t-il pas le sentiment de vivre une réalité augmentée?

Nous ne parlons pas toutes et tous de la même façon. Accepter les mots de l’autre, au lieu d’essayer de lisser un français bien repassé aussi sec qu’un noble col du 16e siècle, c’est enrichir notre bien commun. C’est devenir plus fort en gang, augmenter nos cellules grises, apprendre, grandir, découvrir, voyager…

Notre langue, oui nous devons la défendre, mais surtout, nous devons l’utiliser. Comme on veut. Comme on le sent. Sinon, comment pourra-t-on la célébrer?

Peu importe comment nous la manions, soyons-en fiers. Car comme chante Soir de Semaine, « l’amour […] je peux même le faire avec ma bouche ».

Bonne lecture!