Avez-vous d’ailleurs aperçu le camion d’éboueurs de Whitehorse décoré de mille lumières? Prompt à partager l’esprit du temps des fêtes, le « père Noël » qui le conduit est généreux de ses coups de klaxon! En deux petits « Tuut tuut!! », il répand des sourires au cœur des matins noirs de décembre où routes glissantes, froid et fatigue saisonnière se font sentir! Mais la générosité a-t-elle pour tout le monde la même valeur?
L’Aurore boréale a vécu récemment un événement qui porte à réfléchir sur la valeur du don. Puisque nous offrons gratuitement des copies du journal en ville, la bibliothèque publique de Whitehorse — l’institution gouvernementale de référence pour la lecture — a choisi de ne plus répertorier, dans sa collection de journaux mis à votre disposition, la seule source imprimée d’information locale en français au Yukon… S’il vous arrivait d’aller vous réchauffer locale en lisant un numéro — ou une ancienne édition — de l’Aurore boréale, vous voilà donc bien mal pris!
J’y vois là une occasion de se questionner sur la valeur du don : est-ce que donner a toujours une valeur positive? Devrions-nous cesser d’offrir notre journal gratuitement à certains endroits?
Car c’est parfois la triste réalité du don : la perte de la valeur de ce qui est offert.
Vous est-il déjà arrivé d’être déçu d’une réaction, suite à un acte de générosité? Les exemples sont nombreux et variés : un enfant qui, offrant un dessin à l’harmonie hasardeuse, le voit vite délaissé par son parent pressé; un parent qui, offrant un cadeau de prestige qui aura demandé nombre de sacrifices, est déçu par la réaction apathique de celui ou celle qui le reçoit…
Donner n’est pas chose simple dans un monde qui fait briller la perfection. La valeur des choses est constamment en métamorphose dans notre société où, en chantant en chœur, nous encourageons le célèbre petit papa à « apporter des jouets par milliers »!
Pourtant, ne nous décourageons pas, car le don reste essentiel à notre société et à nos communautés.
Cette année plus que jamais, les chiffres sont criants : l’inflation atteint des records, et dans son sillon se trouvent des milliers de personnes qui souffrent de la pauvreté matérielle, d’insécurité alimentaire, d’anxiété de ne pas pouvoir offrir de sourire à leurs proches pour Noël et qui, au lieu de chercher un cadeau à acheter, se soucient d’abord de trouver un toit ou un lieu chauffé pour abriter leurs familles en pleine vague de froid. Alors non! Nous ne cesserons pas d’offrir nos publications gratuitement dans certains lieux en ville!
Et ne balayons pas d’un revers de la main tous les actes de générosité.
Je tire mon chapeau à toutes les personnes qui donnent, en contributions matérielles ou en temps, à des organismes qui luttent pour des causes sociales.
Merci aussi à toutes celles et ceux qui ont fait des dons dans le cadre de la campagne du temps des fêtes, pour lesquels tous les organismes franco-yukonnais ont collaboré.
En cette période propice aux dons, soyons conscient·e·s de nos privilèges et partageons avec les personnes pour qui la vie est moins douce et généreuse. Je tire mon chapeau aussi aux personnels enseignants qui ont encouragé les parents à ne pas leur faire de cadeau cette année, mais à plutôt faire des dons à des organisations caritatives.
Et pour nos proches, pourquoi pas, cette année, offrir des expériences humaines ou de notre temps. Bien que les calendriers se remplissent vite dans ces périodes des fêtes, offrons de notre présence. Du temps de qualité. Une partie de cartes à jouer, des fous rires à l’occasion d’échanges de cadeaux recyclés. Un repas avec celles et ceux qui sont précieux pour nous. Car la présence, l’amitié et l’amour, même offerts gratuitement, ne perdront pas de valeur, eux. Au contraire, dans notre conjoncture, c’est peut-être encore le dernier investissement qui soit vraiment rentable sur le long terme!
Extrait de Les feuilles d’automne, de Victor Hugo, publié en 1831 :
Dans vos fêtes d’hiver, riches, heureux du monde,
Quand le bal tournoyant de ses feux vous inonde,
Quand partout à l’entour de vos pas vous voyez
Briller et rayonner cristaux, miroirs, balustres,
Candélabres ardents, cercle étoilé des lustres,
Et la danse, et la joie au front des conviés ;
Tandis qu’un timbre d’or sonnant dans vos demeures
Vous change en joyeux chant la voix grave des heures,
Oh ! songez-vous parfois que, de faim dévoré
Peut-être un indigent dans les carrefours sombres
S’arrête, et voit danser vos lumineuses ombres
Aux vitres du salon doré ?
Songez-vous qu’il est là sous le givre et la neige,
Ce père sans travail que la famine assiège ?
Et qu’il se dit tout bas : « Pour un seul, que de biens !
À son large festin que d’amis se récrient !
Ce riche est bien heureux, ses enfants lui sourient.
Rien que dans leurs jouets, que de pain pour les miens ! »
Et puis à votre fête il compare en son âme
Son foyer où jamais ne rayonne une flamme,
Ses enfants affamés, et leur mère en lambeau,
Et sur un peu de paille, étendue et muette,
L’aïeule, que l’hiver, hélas ! a déjà faite
Assez froide pour le tombeau.
Car Dieu mit ses degrés aux fortunes humaines,
Les uns vont tout courbés sous le fardeau des peines ;
Au banquet du bonheur bien peu sont conviés ;
Tous n’y sont point assis également à l’aise,
Une loi, qui d’en bas semble injuste et mauvaise,
Dit aux uns : Jouissez ! aux autres : ENVIEZ !
Cette pensée est sombre, amère, inexorable,
Et fermente en silence, au coeur du misérable.
Riches, heureux du jour, qu’endort la volupté,
Que ce ne soit pas lui qui des mains vous arrache,
Tous ces biens superflus où son regard s’attache ;
Oh ! que ce soit la charité !
L’ardente charité, que le pauvre idolâtre !
Mère de ceux pour qui la fortune est marâtre,
Qui relève et soutient ceux qu’on foule en passant,
Qui, lorsqu’il le faudra, se sacrifiant toute,
Comme le Dieu martyr dont elle suit la route,
Dira : Buvez, mangez ! c’est ma chair et mon sang !
Que ce soit elle, oh ! oui, riches, que ce soit elle
Qui, bijoux, diamants, rubans, hochets, dentelle,
Perles, saphirs, joyaux toujours faux, toujours vains,
Pour nourrir l’indigent et pour sauver vos âmes,
Des bras de vos enfants et du sein de vos femmes
Arrache tout à pleines mains !
Donnez, riches ! L’aumône est soeur de la prière,
Hélas ! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout roidi par l’hiver, en vain tombe à genoux ;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.
Donnez ! afin que Dieu, qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles ;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit ;
Afin qu’un blé plus mûr fasse plier vos granges ;
Afin d’être meilleurs ; afin de voir les anges
Passer dans vos rêves la nuit.
Donnez, il vient un jour où la terre nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse,
Donnez, afin qu’on dise : Il a pitié de nous !
Afin que l’indigent que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un oeil moins jaloux.
Donnez ! pour être aimés du Dieu qui se fit homme,
Pour que le méchant même en s’inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel ;
Donnez ! afin qu’un jour, à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière
D’un mendiant puissant au ciel.
Merci à Danièle Rechstein, pour cette belle recommandation de lecture.