le Dimanche 26 mars 2023
le Jeudi 13 octobre 2022 5:14 | mis à jour le 28 novembre 2022 11:56 Art et culture

Deux Yukonnaises lauréates du concours 1res Œuvres! de BMO

Pour une exposition optimale de Transient Shine, il faut une température proche de 0°C afin que la neige fonde en douceur dans les contenants en verre. Photo :  Shizuka Yoshimura.
Pour une exposition optimale de Transient Shine, il faut une température proche de 0°C afin que la neige fonde en douceur dans les contenants en verre. Photo : Shizuka Yoshimura.

Pour la première fois, une Yukonnaise est lauréate nationale du concours organisé par la Banque de Montréal (BMO) depuis 2003 pour récompenser la créativité d’étudiantes et étudiants en art.

Pour une exposition optimale de Transient Shine, il faut une température proche de 0°C afin que la neige fonde en douceur dans les contenants en verre. Photo : Shizuka Yoshimura.

 

 

Shizuka Yoshimura, étudiante à l’École d’arts visuels du Yukon (SOVA ou Yùhke Zho) a remporté la somme de 15 000 $ et son œuvre Transient Shine sera exposée du 26 octobre au 19 novembre au Musée d’art de l’Université de Toronto.

La concurrence était particulièrement rude avec un nombre record de 345 participations. Chaque année, les responsables de 110 programmes artistiques canadiens proposent aux étudiantes et étudiants de premier cycle de soumettre une création au concours.

« Leurs œuvres inspirantes donnent un aperçu de la remarquable gamme de médias et d’expressions explorés par les étudiantes et étudiants. Elles représentent également la promesse et l’enthousiasme de la toute nouvelle génération d’artistes du Canada », partage Dawn Cain, conservatrice de la Collection d’art de la BMO.

L’hiver comme inspiration

Shizuka Yoshimura a intitulé son œuvre gagnante Transient Shine (Éclat éphémère en français). « C’était mon projet pour l’exposition de fin d’année présentée en avril dernier », explique-t-elle.

Il s’agit d’une collection d’amulettes et de bijoux retenant la neige, fabriqués à partir de matériaux recyclés trouvés principalement à la déchetterie : bois, cordage de chanvre, acier et cuivre. Chaque pièce contient un petit trou pour que la glace et la neige puissent fondre naturellement et qu’on observe l’eau goutter, commencer un nouveau cycle. « Je crois en la réincarnation, en la transformation de chaque particule. Il fallait mettre ça en lumière, la neige étant ma propre mythologie », indique l’artiste.

« Dawson a des hivers uniques, avec une beauté glaciale, sauvage, singulière et inspirante », partage Shizuka Yoshimura. Cette inspiration est visible dans ses autres œuvres créées lors de son année scolaire, sa série photographique intitulée Moon’s Breath (Le souffle de la Lune en français). L’idée était de capturer en image le silence des hivers yukonnais.

« En japonais, mon prénom – Shizuka – veut dire silence. J’ai longtemps pensé qu’il ne me correspondait pas. À Dawson, je me suis enfin connectée à mon nom. Pour entendre la neige, il faut écouter le silence », révèle l’artiste.

Elle a également utilisé le froid et la glace pour tisser une clôture en laine dans son œuvre Transient Wall (Paroi transitoire en français). « Cette œuvre a disparu avec le printemps, car la laine n’était plus figée par le froid. Je suis vraiment reconnaissante d’avoir étudié les arts visuels sur la terre des Tr’ondëk Hwëch’in. Je n’aurais pas pu créer ces œuvres d’art sans faire l’expérience de l’hiver unique, de l’obscurité et de la mélancolie qui en découlent », partage l’artiste.

Une artiste pluridisciplinaire

La créativité de Shizuka Yoshimura s’exprime sur différents supports et ne se donne pas de limite : photographies, vidéos, sculptures, cyanotypes, bijoux, écritures, dessins et performances font tous partie de sa pratique. En arrivant au Yukon, elle pensait s’intéresser davantage à la photographie et la nature, pour capturer le minuscule et ses détails infinis parfois invisibles.

Elle se décrit comme une « artiste visuelle, coureuse, photographe, écrivaine et jardinière ». Selon elle, ces activités lui permettent de se retrouver et de se sentir bien dans une certaine solitude. Elle écrit aussi des essais, des articles et des zines. Elle a d’ailleurs participé au festival de zines canadiens Canzine et le festival d’art Unibrow.

« À Dawson, j’ai développé l’idée de créer des œuvres éphémères. Les bijoux par exemple portent habituellement des pierres précieuses solides et éternelles. En remplaçant ses pierres par de la glace, le bijou devient unique et change chaque seconde. J’aimerais pouvoir créer et capturer les aurores boréales, le ciel et les flocons », expose Shizuka Yoshimura.

Son côté « touche à tout » vient en partie de son caractère aventureux et de son identité culturelle. Née au Japon à Niigata, elle a été soutenue dans son désir de devenir une artiste, notamment par son père, passionné de photographie de feux d’artifice. « Mon œuvre Transient Shine me connecte à la fois au Yukon et à ma terre natale, à ma famille, avec le ciel gris et les gros flocons qui tombaient en hiver à Niigata », ajoute Shizuka Yoshimura.

Elle a suivi des études de stylisme, d’art et design à Kyoto. Elle a ensuite travaillé comme rédactrice et éditrice d’un magazine et d’un site Internet sur la course à pied. Partie faire le tour du monde en 2014, elle a posé ses valises au Canada en 2018. « Quand je suis arrivée à Dawson, j’ai été captivée par les couleurs de Tombstone et le froid. Je voulais porter le Yukon sur moi, et j’ai tenté de garder cette sensation pour mes créations lors de mon année à SOVA », explique-t-elle.

Avec l’argent de la récompense, elle pense réaliser de nouveaux projets, notamment de nouvelles sculptures utilisant le froid. Elle souhaite éventuellement continuer ses études. Ce prix est pour elle une reconnaissance. « À mon arrivée au Canada, j’ai eu des années difficiles. Je me sens acceptée en tant qu’artiste et en tant que personne », conclut-elle.

Sabrina Jin, lauréate régionale

L’œuvre régionale gagnante intitulée Kink (Entortillement en français) est une série de différents nœuds traditionnels réalisés à partir de tubes et de fils électroniques.

Kink fait référence à trois choses : l’association que nous avons entre cordes, nœuds et bondage; la fétichisation inépuisable des cultures et des peuples asiatiques; et le sentiment qu’il y a un « nœud » dans le flux de la culture et des pratiques culturelles entre les ancêtres paternels et l’artiste. Les fils représentent « la manière dont on accède à la pratique et la manière dont j’accède à ma communauté et à ma famille à l’époque », explique l’autrice de l’œuvre, Sabrina Jin.

Une œuvre sur l’identité

« J’ai commencé à m’intéresser au travail des nœuds après avoir rendu visite à mon ami qui vivait dans un hôtel à Dawson. Je passais toujours devant une porte sur laquelle se trouvait un nœud traditionnel. Cela ne cessait d’éveiller mon intérêt et j’espérais toujours trouver les personnes qui vivaient à l’intérieur pour voir si elles étaient elles aussi d’origine chinoise ou est-asiatique. Ils ne l’étaient pas. Cela m’a donné envie d’explorer encore plus cette pratique, car cela m’a montré à quel point j’étais en manque », ajoute-t-elle.

« Je suis très reconnaissante d’avoir pu vivre, travailler et créer sur le territoire des Tr’ondëk Hwech’in et je suis ravie de représenter le Yukon en remportant ce prix! Cependant, j’ai des sentiments mitigés quant au fait d’être une “représentante”, alors que je suis un colon et une nouvelle venue ici. Il y a une vague importante de gens qui quittent les régions plus au sud du Canada pour s’installer dans le Nord et j’en fais partie. Je suppose qu’en ce sens je représente de manière pertinente cette migration importante vers le Nord », explique-t-elle.

Évolution et interprétations de Kink

Cette pièce est la troisième interprétation de Kink. La première était pour l’exposition de fin d’année de SOVA. Une fois que l’œuvre avait été présentée, l’artiste avait défait la majorité des nœuds parce qu’elle « ne [se] sentait pas bien dans cette pièce » : « D’un point de vue technique, elle était loin d’être adéquate comparée à d’autres travaux de nœuds que j’avais vus », explique humblement Sabrina Jin.

Elle a recréé la pièce en la développant jusqu’à ce qu’elle se sente plus en confiance. Cette version a été rejetée par SOVA. « C’était dur, décourageant et ennuyeux », se souvient l’artiste. Elle a ensuite refait Kink une troisième fois après sa sélection pour le prix 1res Œuvres!. La troisième version sera exposée au Musée d’art de l’Université de Toronto.

« C’est de loin ma préférée! Elle est plus colorée, plus élaborée et raconte davantage une histoire. Aucune des photos publicitaires ne montre à quoi ressemble réellement l’œuvre : elles montrent d’anciennes versions, ce qui est étrange », conclut Sabrina Jin.

 

Pour son œuvre Kink, la lauréate régionale Sabrina Jin a recyclé des câbles et les a noués pour les détourner de leur but premier. Photo : Agnès Viger.