J’ai l’impression qu’un regard hautain se pose sur certains genres littéraires.
Encore une fois, c’est une question de clichés : la littérature française est remplie de drames historiques, celle des Anglais ne jure que par l’honneur et la tragédie grecque par la fatalité de la mort. Cependant, il y a des genres qui ont la vie plus dure que d’autres, formant un groupe que j’appelle la trinité du mépris.
La fantasy, la science-fiction et l’horreur. Des paralittératures de divertissement destinées à l’enfant et l’inculte qui n’a pas l’éducation nécessaire pour apprécier la haute noblesse de la poésie ou du roman d’initiation. Le McDo des mots.
Je me souviens avoir senti cette odeur de renfermé errer dans le fond de mes classes de littérature, comme un refoulement d’égout intellectuel.
Et ça me tape sur les nerfs!
Les deux premiers genres nommés plus haut ont été discutés en long et en large, mais la troisième porte des clichés qui ont la couenne dure. Clichés qu’il est toujours bon de défoncer à coup de pompe à vélo.
Sortez vos fourches, vos torches et vos plus beaux costumes de zombie : aujourd’hui, on jase de littérature d’horreur.
La peur est un thème fondamentalement ancré dans la psyché humaine. Dans toutes les mythologies du monde, on peut retrouver des monstres ou des dieux cruels. Souvent associés à la mort (grand mystère terrifiant) ou la nuit (voile sombre couvrant les crimes), ils vont de contes destinés à garder les enfants à la maison après la tombée de la nuit à des leçons de savoir moral. On peut penser au wendigo, figure importante des mythes de Premières Nations, un être humain transformé en goule assoiffée de sang après avoir commis le crime de cannibalisme.
Inévitablement, les contes et les mythes ont migré de la tradition orale aux parchemins, des parchemins au papier, et du papier aux publications sur les réseaux sociaux, amenant avec eux leur propre vision de la peur.
Plusieurs attribuent la naissance de la littérature dite d’horreur au roman gothique, un sous-genre du roman fantastique présentant des histoires de jeunes hommes errant à la recherche de leur jolie fiancée vêtue de blanc retenue prisonnière par le maléfique Baron Von Broumpistoche. Il y a quelques points bonus si le château du Baron est placé au sommet d’une falaise ou des tempêtes viennent se déchaîner et si le Baron a conclu un pacte avec Satan.
Vous voyez le style.
Les deux fers de lance de ce genre sont Dracula de Bram Stoker et Frankenstein de Mary Shelley. Ceci dit, le Canada n’est pas exempt d’histoires gothiques. Le manque de châteaux a été comblé par des forêts embrumées. Le premier roman publié au Québec, L’Influence d’un livre, raconte les aventures d’un fermier fasciné par l’alchimie cherchant une main de pendu.
Bien entendu, la littérature évolue avec le temps. Étant donné que le gothique et l’horreur sont des thermomètres des phobies de nos sociétés, plusieurs auteurs ont décidé de l’adapter à leur sauce. Il est fascinant de voir les différences entre cesdits auteurs. On peut lire en eux une page d’histoire sociologique.
Quand Stephen King prend le stylo, il dépeint des vampires et des animaux ensorcelés, mais aussi la bigoterie, la peur de l’autre, l’inertie de l’humain enroulé dans son quotidien.
Dans les tréfonds de l’Internet est né un sous-genre de l’horreur qui vaut aussi le détour, la creepypasta. Une histoire courte portant sur des objets maudits ou des humains dont l’abus transforme en croquemitaines revenant pour punir leurs agresseurs. Cela peut aller de la cartouche de jeu vidéo maudite à une équipe ténébreuse chargée de capturer des enfants pour les torturer dans des labyrinthes sous caméra. Torture retransmise sur des sites spécialisés uniquement disponibles à certaines heures de la nuit.
On peut voir dans ces petites histoires une sorte de catharsis des peurs engendrées par l’omniprésence de la technologie ou le silence imposé autour des abus par les agresseurs.
Certains attribuent le succès de l’horreur à ce réflexe bien humain qui est de se demander si le protagoniste d’une telle suite de malheurs s’en sortira indemne. Une preuve de compassion, dans un certain sens.
Si la science-fiction dystopique présente la peur comme l’arme d’un despote qui ne peut être vaincu, le genre littéraire d’aujourd’hui en fait une épreuve à surmonter; un nuage passager apportant une occasion de bravoure en montrant que l’être humain peut surmonter les pires obstacles.
Dans un monde tel que le nôtre où l’art est souvent cynique ou fataliste, l’horreur serait-elle un chant d’espoir?