Ça faisait proche d’un an que j’étais revenu dans les parages. L’hiver s’annonçant, je me demandais où je resterais. J’avais vécu à plein temps dans mon camion durant toute cette année. Toutes mes possessions tenaient dans ce cubicule.
Mais là, j’étais embêté de trouver l’espace nécessaire au surplus de vêtements d’hiver nécessaire pour affronter les grands froids. Il était temps de sortir de ma couchette. Mes premiers patrons m’avaient envoyé sur la Dempster Highway. J’en suis reconnaissant pour ça. Mais c’est tout. C’étaient des conquistadors qui aimaient conquérir de nouveaux territoires sur le dos de leurs employés. Cheminer ce grand chemin m’avait allégé le cœur ; mais, malheureusement, mes poches tout autant. Des bidous, je n’en avais pas gros. Pas assez pour une bonne cabane.
J‘ai dû me résigner. C’est une chambre dans une maison mobile du très chic Kopper King Trailer Park où j’ai trouvé à me loger. Ça avait la classe d’un Trailer Park Boys. La place était super swell. C’était la seule de la rue pas déglinguée ou condamnée pour insalubrité. Délesté du devoir de bien paraitre, on ne s’enfarge pas dans les conventions définissant le bien-vivre. J’en suis reparti un ou deux ans plus tard avec une poche pleine d’anecdotes rigolotes et de précieux souvenirs. Mais pas que de la rigolade.
Ma logeuse était une Tlingit originaire, si j’ai bien compris, des alentours de Grizzly Valley. Elle en était partie fillette, quand la GRC est venue la chercher pour la faire entrer à l’école résidentielle de Whitehorse. Elle m’a confié que quand elle a quitté ses parents, elle ne parlait pas l’anglais. Quand elle les a retrouvés des années plus tard, elle ne les comprenait plus.
Elle m’en a raconté beau-coup plus.
Tuer l’Indien dans l’enfant, comme le demandait le gouvernement, s’est avéré être une tâche plus difficile qu’il en paraissait. L’apprentissage d’être blanc était enseigné à coups de baguettes, de strappes, de coupes de cheveux humiliantes, de sévices, etc. Différentes religions à y être passées s’en sont chargées. Sont passées sur elle aussi. Ils ont eu beau varger autant qu’ils le pouvaient, ça n’a pas été couronné de succès. Ça finissait des fois par des enfants morts enterrés de nuit. Ça porte à boire. Plus la journée avançait, plus de bières elle clippait, plus elle en contait.
Mais enfiler sa première bière à huit heures du matin, ça se peut qu’après la dixième ou douzième, dans l’après-midi, on devienne tannant. C’était le moment que je choisissais pour m’éclipser. Une fois, je n’ai pas été assez vite. Elle est venue me relancer jusque dans ma chambre. Voulant me piquer comme il faut, elle m’a gossé sur mon accent. C’en était trop. Je lui ai alors demandé si je devais essayer de parler comme elle : « Speak white? » Je sais que c’était baveux. Mais concernant la langue, elle a compris qu’on était dans le même bateau.
À quelques reprises, des natifs du Delta ou d’ailleurs m’ont questionné au sujet de l’attitude agressive et presque guerrière démontrée jadis par les Québécois concernant notre langue. « D’accord, que je répondais. Mais notre langue, on la parle toujours. Peut-être devriez-vous en faire autant. »
Le temps a passé. J’ai recommencé à bourlinguer. Jusqu’à ce que je me retrouve à Old Crow. « In and out steady ». Je ne pourrais dire combien de fois j’y suis allé. L’endroit étant dépourvu de route, l’avion est le seul moyen de transport. La compagnie aérienne Air North fait une très bonne job.
Grâce à cette association harmonieuse entre la nation Vuntut Gwitchin et son président blanc Joe Sparling, l’entreprise s’est taillé une réputation fort enviable et fait la fierté des habitants du territoire.
Cette compagnie respectable émet les consignes de sécurité dans les deux langues officielles. Une question que je me pose, cependant : pourquoi omet-elle de les émettre aussi en gwitchin? J’ai commencé à le leur demander. Tous unanimes : aucune idée. Personne n’y avait même songé. Même pas le chef. Il faudrait que ça change.
Je ne crois pas que sortir les armes soit encore nécessaire. Une ouverture envers les différentes cultures s’instaure tranquillement. Il serait temps de passer de la parole aux actes et commencer à faire une place aux premiers arrivés. Intégrer la langue des premiers fondateurs de ce pays devrait être une priorité. On devrait en entendre tous les jours. Avec la langue vient la culture.
Je me suis longtemps questionné sur la faisabilité de cette idée, puisqu’il existe je ne sais combien de parlers différents entre nos trois océans. Pour faciliter le tout, devrait-il y avoir une sorte de fusionnement? Ce n’est pas à moi de répondre. Faisons confiance aux peuples concernés pour solutionner cette question.
Pour aider à la réflexion, pensons qu’au Pérou ils ont quarante-deux langues officielles. S’ils y arrivent, pourquoi pas nous? Notre responsabilité est d’ouvrir cette porte encore fermée et accepter ce qui y entrera. Cette terre nous ayant vus naitre, par ce fait, elle nous unit dans une même et grande famille. Il serait peut-être temps qu’on commence à essayer de nous comprendre.
Mahsi cho.